She Said met en images et en témoignages tout le travail journalistique ayant précédé le mouvement #MeToo. Inattaquable sur le fond, la forme laisse quand à elle malheureusement de marbre.
She Said débarque en pleine période de films oscarisables, précédant de près le The Son de Florian Zeller. Film au sujet brûlant, Maria Schrader pourra ainsi espérer trouver la même grâce aux yeux de l’Académie qu’un certain Spotlight de Tom McCarthy, oscarisé en 2016, qui suivait l’enquête du Boston Globe, qui avait dénoncé un réseau pédophile au sein de l’Église catholique de Boston. Touchant au plus près des vies brisées et témoignages de l’impact de l’affaire sur nombre de femmes, She Said se veut sobre et consciencieux, et à l’image d’un travail journalistique, manque cependant cruellement de cinéma.
Héroïnes
She Said suit ainsi les deux journalistes du New-York Times ayant enquêté sur l’affaire Weinstein. Campées par les impeccables et trop rares Carey Mulligan et Zoe Kazan, le scénario de Rebecca Lenkiewicz s’attarde également sur leurs vies de femmes et ce sans ne jamais sacraliser ses personnages, croquant le portrait d’héroïnes contemporaines, battantes et engagées, conciliant non sans difficultés leurs vies familiales et professionnelles. Abordant de front le machisme ambiant, la dépression post-partum et l’omerta régnant sur tout un système, tout est ainsi dépeint avec beaucoup d’intelligence, faisant la part belle à des victimes ici érigées en véritables symboles.
Tout ce qui était tu, c’est ce qu’ausculte avec une grande sobriété She Said. Maria Shrader signe ainsi un film sur une parole que l’on redonne et de son long chemin vers une libération et une douloureuse acceptation. Ce qui fait la grande qualité du métrage réside d’ailleurs dans les dialogues et d’une scène très forte où l’une des journalistes se doit d’expliquer à un mari que sa femme a pu être victime d’agressions sexuelles. Toute la force du propos de She Said explose alors de la puissance et la violence d’une parole que l’on se refusait à croire, et surtout à en imaginer l’ampleur.
Paroles sans images
Malheureusement, la puissance et l’intelligence du propos ne suffisent pas à mener She Said vers le grand film qu’il aurait pu et dû être. Présenté comme le premier long-métrage de fiction sur l’affaire Weinstein, après le nécessaire documentaire L’Intouchable Harvey Weinstein d’Ursula Macfarlane, Maria Shrader échoue à dépasser le consciencieux travail journalistique dont la sobriété étouffe la moindre idée de cinéma. She Said manque ainsi cruellement de souffle et malgré le talent de ses interprètes et la force de ses dialogues parait finalement plus comme un film nécessaire où la force du propos n’embrase jamais celle de la mise en scène.
On comprend ainsi les nobles intentions de Maria Shrader, qui remet au centre une parole fragile et nécessaire et des traumatismes tus. Mais là où Spotlight dépassait son propos pour faire ressentir, sans excès, la force d’un scandale sur toute une population, She Said se cantonne au film d’enquête journalistique dont la sobriété en fait à la fois sa force et aussi sa plus fragile limite. S’il n’a toutefois pas la maladresse du Scandale de Jay Roach, qui narrait le chute du PDG de Fox News, il ne reste cependant qu’un propos et des paroles qui méritent d’être écoutés et compris, mais d’une mise en image qui laisse malheureusement de marbre.
She Said est sorti le 23 novembre 2022.
Avis
She Said redonne avec une grande intelligence la place à une parole enfouie et dissimulée au sein d'un système gangréné. Porté par des dialogues d'une grande subtilité et de très forts portraits de femmes, sa sobriété salutaire étouffe cependant toute idée de cinéma. Un film nécessaire où si la parole se doit d'être entendue, a malheureusement plus de mal à être mise en images.