Scarlet et l’éternité est le nouveau film du grand Mamoru Hosoda (Le Garçon et la Bête, La Traversée du Temps, Belle). Le réalisateur japonais s’attaque frontalement au genre de la fantasy, dans une revisite d’Hamlet qui se veut aussi audacieuse thématiquement que plastiquement !
Scarlet et l’éternité peut être vu comme un petit évènement pour tout fan de japanimation. En effet, Mamoru Hosoda (La Traversée du Temps, Miraï, Le Garçon et la Bête) est installé comme un des nouveaux maîtres du genre aux côtés de Makoto Shinkai (Your Name, Les Enfants du Temps, Suzume). Nous ne sommes pas proches de l’aura d’un Takahata ou Miyazaki, mais Hosoda continue de produire des classiques, malgré une réception plus contrastée du pourtant très réussi Belle, de par un côté plus ronronnant.
Shakespeare in Loss
Avec Scarlet et l’éternité, le réalisateur nous emmène incontestablement dans son film le plus violent…. et de prime abord le plus désespéré ! Nous sommes au royaume fictif d’Elseneur au XVe siècle, après que le roi Amleth soit assassiné pour traîtrise à la patrie. En réalité, il s’agit d’un coup monté par son frère Claudius, désormais roi despote et désireux de conduire ses troupes vers une Terre promise. C’est dans ce contexte funèbre que Scarlet (la fille d’Amleth) s’entraînera toute son enfance au maniement des armes.
Au moment de se venger des années plus tard, Scarlet est mortellement blessée. Se faisant, elle se retrouve dans un univers désolé peuplé par les morts. Toujours animée par son désir de vengeance, la princesse guerrière va devoir faire équipe avec Hijiri, un infirmier venu de l’époque contemporaine. Ensemble, ils vont devoir faire voyage à travers ce wasteland et trouver un sens à leur vie.

Scarlet et l’éternité se veut incontestablement le film le plus ambitieux de Mamoru Hosoda, et cette ambition s’affiche dès l’introduction du film. Passé tout le chapitre le plus tragico-shakespearien du métrage (violence graphique et décapitation à la George R.R. Martin inclus) en 2D, le métrage nous emmène dans ce gigantesque désert apocalyptique.
Renouveau graphique
Et rien qu’à cet instant, Mamoru Hosoda ose se mettre à dos les plus fervents défenseurs de son style visuel traditionnel, pour une animation 3D véritablement originale proche du cell shading. Le résultat est forcément déconcertant (d’aucun dira qu’il y a une dimension méta à l’idée de placer tout ce qui a trait à la mort en 3D et au monde réel en 2D), mais véritablement singulier.
Comme Mamoru Oshii il y a 20 ans (Ghost in the Shell 2 Innocence), Hosoda offre une patine inédite offerte par les technologies modernes pour dépeindre un Outre-monde qui n’aurait pas la même force évocatrice en animation traditionnelle. Ce sera particulièrement vrai pour tout ce qui tourne autour du personnage de Scarlet, héroïne tragique aux multiples expressions faciales véritablement impressionnantes au sein du médium.

En terme d’animation, Scarlet et l’éternité affiche la robustesse et la virtuosité habituelles de son réalisateur, proposant quelques passages épiques véritablement impressionnants en terme d’échelle. Rapidement, on comprendra que tout cet univers désolé n’est pas juste un espace mental, mais bien un purgatoire à la jonction entre des mondes réels et funèbres aux jointures poreuses (le spectre de Death Stranding n’est pas si loin étonnamment).
Fantasy métaphorique
Comme dans un certain Mad Max ou Sirat, ce désert est une nouvelle page blanche pour l’humanité. Cette dernière étant le véritable sujet de Scarlet et l’éternité : avec sens, le récit abandonnera peu à peu toute action belligérante de sa protagoniste au gré des rencontres parfois picaresques. D’abord auprès d’une communauté multi-culturelle pacifiste au coin du feu, puis au sein d’un exode massif vers cette fameuse Terre promise juchée tout en haut d’une montagne.

Toute métaphore Biblique ou contemporaine ne sera donc pas fortuite, alors que Scarlet et l’éternité se veut un véritable pamphlet anti-guerre scandant la nécessité de stopper le cycle de la violence. Un cercle vicieux qui ne peut que faire couler le sang, et véritable cœur de toute la dramaturgie intime du personnage ou de tout l’univers du film.
D’aucun verra dans le traitement d’Hosoda une niaiserie facile, prônant l’amour, le vivre-ensemble et la bonté face à aux armes et la mesquinerie. Un traitement très facile, trop sans doute vu la complexité du sujet et le cynisme ambiant. Pour autant, c’est dans sa sincérité la plus pure que le film trouve sa force, intimant de ramener l’humain au centre comme dénominateur commun nécessaire à la paix.
Sincérité en toute simplicité
De plus, Scarlet et l’éternité parvient régulièrement à assoir son propos universel par la simple puissance de sa mise en scène ou bien la construction visuelle de son univers pictural. La première partie du récit est par ailleurs un modèle du genre, entre ces visions de princesse attirée dans les entrailles de la Terre par d’innombrables mains, un dragon menaçant constitué de multiples armes blanches et qui provoque des colonnes de foudre dès lors que la violence est employée…
Le film mettra d’ailleurs en parallèle des plans de foules gigantesques dignes d’un Cecil B. Demille (où les flemmes et la mort se mêlent au désespoir), à une enivrante séquence de danse géante synonyme d’un monde meilleur. Une dichotomie là encore simple, mais efficace (d’autant que la BO de Taisei Iwasaki est de toute beauté) d’un pur point de vue viscéral.

Pour autant, quelque chose coince dans ce Scarlet et l’éternité, l’empêchant d’être véritablement du niveau des précédentes œuvres d’Hosoda. Le cinéaste nous a habitué à proposer des relations centrales étonnamment travaillées (qu’elle soit romantique, filiale ou bien amicale), voire même bouleversantes. Ici c’est tout l’inverse, la faute au personnage d’Hijiri : infirmier sur le fil de la mort, constamment philanthrope et synonyme d’étincelle de vie, il fonctionne parfaitement en duo avec Scarlet d’un point de vue thématique.
Magnifique Hosoda en petite forme
Mais derrière le côté fonctionnel, le récit en fera juste un personnage token, manquant véritablement d’incarnation véritable dans les derniers instants (vendus comme déchirants) du film. Un heurt qu’on ne connaissait pas au réalisateur, mais malgré tout Scarlet et l’éternité réussit globalement son pari avec ferveur (quel magnifique climax !). Mais surtout, derrière ses expérimentations plastiques inédites, Mamoru Hosoda ne troque jamais se pureté d’intention. On aurait pu avoir une franche réussite avec une romance centrale moins programmatique, mais en l’état on tient une digne proposition !
Scarlet et l’éternité sortira au cinéma le 11 mars 2026
avis
Loin des cimes émotionnelles auxquelles Mamoru Hosoda nous a habitué, Scarlet et l'éternité se veut tout de même un vrai film charnière pour le réalisateur. Proposant une animation inédite au service de son univers de fantasy métaphorique, dommage que la relation centrale soit clairement en-dessous du reste. Heureusement, entre son héroïne parfaitement écrite, sa mise en scène ample et sa sincérité à toute épreuve, Scarlet est une revisite d'Hamlet ne manquant pas de personnalité, à défaut d'être transcendant.

