Présenté au Festival de Cannes en Hors-Compétition, Rebel est le nouveau film de Adil El Arbi & Bilall Fallah (Black, Bad Boys for Life). Abordant le sujet de l’embrigadement et de la radicalisation islamique en Syrie, les réalisateurs accouchent d’un film de genre bien audacieux.
Adil El Arbi et Bilall Fallah sont deux réalisateurs belges dont le parcours fait office de carrière plutôt rêvée pour tout jeune cinéaste. Grands fans du cinéma US des 80’s-90’s, les deux compères ont d’abord fait leurs armes dans leur pays et on été sur les radars des grosses prods’ avec Black, une relecture brute de décoffrage de l’histoire de Roméo et Juliette sur fond de racisme et de guerre de gang en pleine agglomération bruxelloise. On leur doit ensuite la comédie Patser (ou Gangsta à l’international), où quatre amis à Anvers s’improvisent dealeurs de drogues, tout en se mettant à dos le cartel colombien et la mafia d’Amsterdam.
Repérés par Jerry Bruckheimer, les 2 compères ont ensuite mis en scène le gros succès Bad Boys for Life, avant de s’envoler dans le monde super-héroïque pour mettre en boîte deux épisodes de Ms Marvel. Mais alors que tout semblait au beau fixe, DC a décidé d’annuler leur film Batgirl. Entre temps, Adil & Bilall ont pu réaliser Rebel, leur film le plus personnel et audacieux, pour le présenter au Festival de Cannes.
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Rebel prend place à Molenbeek, et nous présente Kamal, un jeune rappeur aux fréquentations douteuses, qui se retrouve embrigadé en Syrie. Initialement volontaire pour aider les victimes de guerre, ce dernier va progressivement rejoindre un groupe armé islamiste. Au même moment, son jeune frère NasSim, qui rêve de devenir comme lui, va devenir une proie facile des recruteurs du Djihad. Au grand dam de leur mère Leïla, qui va ainsi tout faire pour sauver ses deux fils. Une plongée sans concession dans les jeunesses syriennes donc, alors que Kamal va petit à petit prendre le chemin de la raison et tenter de s’échapper.
Syrie, appelle maison
Ainsi, Rebel interpelle assez immédiatement par son sujet on ne peut plus tabou et controversé. Et si nous étions en droit d’imaginer un métrage pontifiant en mode « cinéma-vérité » parfum naphtaline, que nenni. Les deux réalisateurs construisent finalement leur récit dans la tradition du cinéma de gangster, avec l’ascension séduisante, le dilemme point-pivot, et l’inévitable chute. Ainsi, Daech est traité via un prisme d’imaginaire cinéphilique pas si éloigné d’un cartel de Scarface/Narcos ou bien un groupuscule mafioso Scorsesien.
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Cependant, via plusieurs témoignages et recherches, les deux réals belges sont parvenus à un certain degré d’authenticité dans les diverses pratiques des groupuscules syriens, de quoi donner de l’incarnation et un certain poids à leur sujet. Via ce setting plutôt inédit, Rebel se veut bien prenant et immersif dans sa première heure, où la radicalisation de Kamal va de plus en plus loin dans la violence.
De manière plutôt surprenante, le film ne lésine d’ailleurs pas sur le frontal : décapitation, scènes d’exécution ou autres séquences de guérilla urbaines à la reconstitution bien chiadées ponctuent le métrage. L’occasion d’apprécier une mise en scène des plus efficaces, qui à de précieux instants frôle même une certaine virtuosité via quelques plans-séquences orchestrés caméra à l’épaule dans un style proche des Fils de l’Homme.
Tragédie musicale
Et alors que les réals nous plongent assez viscéralement dans le sable et le sang, Rebel se permet également quelques saillies musicales hyperboliques, pas si éloignées d’un This is America. Un usage de musique ethnique ou de rap en adéquation avec les thématiques et le setting du film, pour un résultat hybride enthousiasmant (bien que parfois surligné). De quoi saluer le sound design global, ainsi qu’une photographie de caractère signée Robrecht Haeyvaert (Revenge).
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Il y aura bien sûr un « mais » dans cette proposition qu’est Rebel, via quelques problèmes se concentrant principalement dans sa seconde moitié. Alors que les scènes en Syrie se veulent plus maîtrisées, celles de Molenbeek pallient en comparaison, via un traitement visuel plus quelconque. En terme d’écriture, on évite pas diverses facilités (concernant notamment l’implication de la mère lors du dernier segment) ainsi qu’un traitement plus attendu pour la résolution de certains arcs narratifs(tout ce qui concerne le jeune Nassim en particulier). Un aspect plus lissé donc, après le caractère brut de décoffrage initial.
Plongée perfectible mais généreuse
Malgré quelques scories, Rebel fait néanmoins office de proposition de genre salutaire vis-à-vis de son sujet. Une proposition tenue, audacieuse et parfois même généreuse. On en retient donc un film inspiré, porté par une belle performance centrale d’Aboubakr Bensaihi, qui retrouve les deux réals après Black. Perfectible mais bien singulier et hautement réjouissant !
Rebel sortira au cinéma le 31 août 2022
avis
Avec Rebel, Adil & Bilall accouchent d'un film osé, ultra généreux en terme de mise en scène et de mariage d'influences pour aborder l'embrigadement et la radicalisation des jeunesses musulmanes en Syrie. Un sujet touchy donc, traité avec humilité mais via une grossepaie de cojones. Chapeau !