Avant son retour au film de fiction, Steve McQueen (Shame, 12 Years a Slave) revient avec une autre forme de projet : Occupied City. Un documentaire à la durée pantagruélique de 4h, faisant l’anatomie d’une Amsterdam où se télescopent les mouvements de résistance via une mise en parallèle avec sa période sous occupation nazie. Un objet filmique détonnant aussi bien que fascinant.
Avant de pleinement aborder le projet que représente Occupied City, il convient de rappeler qu’avant La Caméra d’Or pour Hunger, Shame, 12 Years a Slave, Les Veuves ou Small Axe, Steve McQueen a fait ses débuts dans la photographie et le milieu artistique des musées. Et avant de revenir à la fiction, le réalisateur britannique a décidé de rendre hommage à sa ville de cœur : Amsterdam.
Ghosts of Amsterdam
Tout fan de Paul Verhoeven a d’ailleurs forcément vu l’excellent Black Book, récit mettant au centre la résistance hollandaise face à l’occupation nazie. Occupied City entreprend de justement de mettre en lumière « la Venise du Nord » en revisitant plus de 130 lieux (appartements, musées, places, gares, hangars, rues, parcs..) sous leur jour contemporain, tout en racontant par voix-off divers évènements ayant pu s’y produire en 39-45.
Steve McQueen s’applique ainsi à transcrire les écrits du livre « Atlas of an Occupied City – Amsterdam 1940-1945« , un ouvrage rigoureusement documenté qui est le fruit du travail de l’historienne et réalisatrice Bianca Stigter (la compagne de Steve McQueen). Pourtant, les images hypnotiques du film s’inscrivent pleinement dans notre époque, allant sans cesse de l’avant. Le cinéaste n’a ainsi recours à aucune image d’archive, ni à aucun entretien filmé.
Un postulat au résultat assez rude d’entrée de jeu, via un étrange déséquilibre vis-à-vis de cette double-narration. Les épisodes contés ne manquent pas de récits poignants ou dignes d’intérêt (rafles, rationnements de nourriture, cachette d’Anne Frank, exécutions sommaires, familles brisées…) dans cette cartographie temporelle, mais arrive forcément à un certain aplanissement émotionnel ou thématique sur les 4h (peu aidé par la même voix-off tout du long).
Œuvre d’art visuelle
Et pourtant, il se produit quelque chose de relativement fascinant sur la durée, surélevé avant tout par une narration visuelle beaucoup plus impactante, sublimée par le regard quasi chirurgical de Steve McQueen. S’enchaînent donc divers photogrammes et moments de photogénie/cinégénie parfois pris sur le vif (et dont on se demande par quelle magie ces instants de cinéma ont pu être capturés), tantôt minutieusement orchestrés (le tout dans un superbe écrin pellicule en 35 mm).
Connaisseur de sa ville d’adoption, McQueen capte dans Occupied City chaque micron de son infra-structure, qu’il s’agisse de monuments, de ruelles, fenêtres, chantiers, canaux..ou surtout les petites gens qui la composent. Aidé du chef opérateur Lennert Hillege, Steve McQueen amène sa caméra inquisitrice vers des cimes artistiques insoupçonnées, produisant à intervalles réguliers de véritables tableaux ne faisant pas office de papier-peint arty, mais emplis de vie, de textures et de corps.
C’est alors que les 2 lignes de lecture initiales se conjuguent régulièrement à un 3e niveau souvent hypnotique (parfois même poétique), mettant en lumière la quotidienneté contemporaine d’Amsterdam face à l’horreur qu’elle a vécue 80 ans plus tôt. Occupied City s’impose alors comme un testament politico-social et humaniste fort, traitant des divers mouvements de résistance : de la WW2 évidemment, mais aussi face à l’entrave des libertés en période Covid, face aux partis suprémacistes ou en adéquation avec la libération des voix féministes.
Occupied City : une mémoire gravée dans le marbre
Dans un ultime mouvement lourd de sens, Steve McQueen parachève son exercice artistique en replaçant la judéité au centre des victoires, sublimées par la musique atmosphérique d’Oliver Coates (Aftersun). Occupied City est donc un documentaire des plus affirmés, n’hésitant pas à avoir le spectateur à l’usure, en corrélation avec le poids historique et humain dont a hérité Amsterdam. La durée pachydermique du métrage se transforme ainsi en expérience immersive déroutante in fine ! Une expérience qui n’est pas faite pour tout le monde il est vrai, mais quia le mérite d’être relativement unique, inspirée, et inspirante !
Occupied City n’a pour le moment aucune date de sortie
avis
Occupied City pourra en rebuter plus d'un de par sa durée colossale, son rythme lancinant et un certain manque d'équilibre narratif. Mais Steve McQueen transcende tout cela par une déclaration d'amour Amsterdamoise brillante visuellement, étonnante sensoriellement, et déroutante émotionnellement. Le didactisme laisse donc place à un brûlot politique engagé et hautement original !