Nomadland, c’est Chloé Zhao qui ouvre grand les portes de son cinéma déjà prompt aux grands espaces pour une observation d’une Amérique à bout de souffle, affublé d’une déclaration d’amour toujours aussi bouleversante aux marginaux.
Nomadland, troisième long-métrage de Chloé Zhao, sonne comme une synthèse de la courte mais très attachante filmographie de la réalisatrice. Cinéaste de l’exil, des marginaux et des grands espaces hérité de son départ de la Chine ainsi que de son amour pour le cinéma de Terrence Malick et des westerns d’Arthur Penn et de Sam Peckinpah, Nomadland perpétue de la plus logique des façons l’exil impossible de la terre natale de son premier long-métrage Chansons que mes frères m’ont apprises ainsi que la destruction du héros américain vu dans son précédent The Rider.
L’exil comme guérison
Quittant la réserve de Pine Ridge où la réalisatrice avait précédemment posé ses caméras pour être au plus proche de ses sujets, Chloé Zhao adapte pour la première fois un roman, Nomadland : Surviving America in the Twenty-First Century écrit par la journaliste Jessica Bruder et s’entoure d’acteurs professionnels. Nomadland vient ainsi d’une compréhension envers l’électorat de Donald Trump au détour du portrait d’une femme incarnant le portrait d’une Amérique à bout de souffle.
Lors de son premier long-métrage, la cinéaste nous contait un exil impossible, trop ancré à la terre natale dans Les Chansons que mes frères m’ont apprises. Celui de Nomadland en est également un, contraint et forcé par la désertion d’une ville industrielle et du décès d’un mari. Frances McDormand, à l’instar du troisième film de Chloé Zhao, paraît ainsi être une synthèse de tous les personnages de la réalisatrice. Il est ainsi aisé déceler dans le personnage de Fern le Johnny de Les Chansons… ayant des envies d’ailleurs et la mise à terre du héros américain campé par le Brady de The Rider.
Marginaux chez Amazon
Filmée au plus près, avec ses fameux grands angles en décors naturels, l’actrice y est prodigieuse, et relit ici sa prestation de laissée pour compte qui prend les armes pour se faire entendre dans le Three Bilboards : Les Panneaux de la Vengeance de Martin McDonagh, pour lequel Frances McDormand avait (déjà) été oscarisée. Avec Nomadland, Chloé Zhao ouvre ainsi grand les portes de son cinéma en étendant ses obsessions sur l’Amérique toute entière.
Ce pays, c’est celui des marginaux qui subliment les décors chers à la réalisatrice, que cette dernière s’échigne à filmer avec le même amour porté précédemment dans ses deux premiers longs-métrages. Nomadland, c’est l’exploration d’un pays sans maison, qui a remis l’entraide au centre d’une économie ultra-libérale, en parfaite contradiction avec les entrepôts froids et mécaniques d’Amazon où la réalisatrice s’en est allée poser ses caméras. C’est aussi l’histoire, une fois de plus, d’un deuil sourd et sans paroles, d’un passé révolu qui se relit en parcourant les routes d’un pays résonnant désormais comme unique adresse.
La myriade de prix ayant mené jusqu’aux Oscars dévoyés à Nomadland n’est ainsi pas un hasard, où une simple coïncidence : le cinéma naturaliste de Chloé Zhao résonne d’autant plus à une époque où les blockbusters en CGI et les films d’auteurs à gros budget ont délaissé l’humain au cœur de la tourmente. On attend ainsi d’autant plus le passage de la réalisatrice chez Marvel, d’où les premiers visuels de ses Eternels convoquent les thématiques de l’exil en décors naturels, permettant ainsi de faire revenir nos chers super-héros sur Terre, et ainsi à observer l’humain dans toute sa beauté et sa simplicité et tout cela avec le minimum d’artifices possible.