Mystère à Venise joue la carte horrifique pour tenter de dynamiter une enquête laborieuse faisant une fois de plus office de meurtre en règle de l’œuvre d’Agatha Christie.
Mystère à Venise est déjà la troisième itération d’Hercule Poirot au cinéma de Kenneth Branagh, et également un troisième affront envers le personnage d’Agatha Christie. Aussi, depuis l’inutile Le Crime de l’Orient-Express, en passant par l’hideux et surgonflé Mort sur le Nil, l’acteur-scénariste et producteur ne sera ainsi jamais parvenu ne serait-ce qu’à moderniser, ou même à tutoyer, les écrasants modèles signés tour à tour par Sidney Lumet et John Guillermin. Cette fois dénué de modèle cinématographique indépassable, il demeurait pour le cinéaste et son scénariste, Michael Green, déjà responsable des deux précédents opus, une véritable page blanche, et l’occasion d’enfin s’emparer totalement d’une nouvelle aventure d’Hercule Poirot encore non-adaptée au cinéma, à savoir La Fête du Potiron, d’Agatha Christie.
Et malgré cette promesse, certes minuscule, de signer une adaptation neuve et enfin convaincante, les deux compères se muent une nouvelles fois en fossoyeurs, décimant pour une troisième fois un héros que l’on croyait pourtant immortel. Souhaitant ratisser large, non pas qu’en se contentant de réunir une nouvelle fois un casting prestigieux, au passage encore sous-exploité, Kenneth Branagh décide de se la jouer en total opportuniste en emmenant son laborieux récit vers l’horreur, à la veille du mois d’octobre et alors que le genre aligne les succès faciles au box-office, sortant au passage le même jour que La Nonne 2. Et sans surprise, ce Mystère à Venise est donc un nouvel échec, réussissant à la fois l’exploit d’un jeu de massacre à la fois envers l’œuvre d’Agatha Christie, et en n’épargnant pas non plus le cinéma de genre, ici transfiguré en maigre et opportuniste artifice.
Hercule, peur, eau
Mystère à Venise débute pourtant de manière intéressante : les cartes postales surlignées des précédents opus laissent ici place à une introduction sèche et prenante, où un meurtre d’oiseau brutal transfigure un temps Venise en suffocant décor. Malheureusement, après ces quelques secondes suspendues, tout le programme lourdaud de la franchise débarque ensuite avec d’énormes sabots, transfigurant ce petit espoir de renouveau en une courte réussite complètement accidentelle. La troisième aventure d’Hercule Poirot signée Kenneth Brannagh reprend absolument point par point tout ce qui menait au désastre chacune de ses précédentes tentatives d’adaptation, en se la jouant en plus maître de l’horreur rouillé pour tenter de dynamiter une enquête laborieuse sur toute la ligne.
Personnages écrits à la truelle en forme d’insupportables caricatures (Pauvres Keilly Reilly, Camille Cottin et Michelle Yeoh), absence totale de rythme au cours d’épuisants échanges, le cinéaste moustachu croit ainsi offrir un tant soit peu d’intérêt à son intrigue en se réfugiant dans l’horreur de bas-étage, inondant sa mise en scène d’effets lourdingues et répétitifs rappelant ainsi les pires heures du Conjuring-Verse. Dans cette vision du genre, plus qu’amateuriste de Kenneth Brannagh, on se contente ainsi de longuement filmer d’étranges éléments de décors, on renverse la caméra, et surtout, l’on parasite d’une noirceur soporifique absolument tous les plans, d’une photo opaque signée Haris Zambarloukos, fidèle collaborateur du cinéaste semblant se faire très lourdement la main pour Beetlejuice 2. On se demande ainsi où a bien pu passer le cinéaste derrière une solide adaptation de Frankenstein, dont le talent semble logiquement s’être perdu depuis 30 années.
Poiropportunisme
De ses adaptations parfois brillantes de Shakespeare (Beaucoup de bruit pour rien), et de la volonté d’un cinéma d’auteur exigeant mais populaire, Kenneth Branagh, depuis sa rencontre avec Disney, s’est ensuite mué en faiseur égocentrique, en metteur en scène incompétent, mais cependant fidèle, alignant sans broncher l’odieux Artemis Fowl, Belfast pour tenter de se prouver que son âme existe toujours, puis deux enquêtes d’Hercule Poirot, mettant ainsi un peu plus sa crédibilité au placard. Si la moustache de son personnage paraît ainsi complètement artificielle, il en est aujourd’hui de même pour les projets d’un artiste s’étant brûlé les ailes au nom de l’argent, du bénéfice facile et des projets commerciaux emballés sans la moindre fougue ni prise de risques.
Ce vieux palazzo qui sert de sombre décor ne provoquera ainsi aucune autre horreur que celle d’assister à un énième massacre en règle de l’œuvre d’Agatha Christie. Tout sonne faux, artificiel, et les quelques apparitions fantomatiques tout bonnement hideuses que réservent ce scénario laborieux, confirment à la fois le manque d’intérêt à peine dissimulé pour l’œuvre adaptée (dont il reste finalement peu de choses), ainsi que celui du genre horrifique, ici pensé en simple gadget financier pour maintenir l’intérêt des foules après deux cuisants échecs artistiques. Sur le papier, Mystère à Venise n’est finalement qu’une opération financière solide, qui remboursera sûrement sans efforts son imposant budget. Sur un écran de cinéma cependant, il en résulte presque du crachat au visage du spectateur d’un artiste dont la double-moustache ne suffit même plus à dissimuler son hideux opportunisme.
Mystère à Venise est actuellement au cinéma.
Avis
Mystère à Venise reprend la piteuse formule d'une saga épuisante de vacuité, en tentant de jouer la carte de l'opportunisme, voulant ratisser large sur les terrains du genre horrifique. Il en résulte d'un naufrage sur tous les points : personnages caricaturaux, enquête laborieuse et mise en scène lourdingue voulant faire naître de la tension là où il n'y qu'un hideux opportunisme, qui même dissimulé derrière une double moustache, s'avère cependant être le véritable crime de cette troisième inutile adaptation.