Presque 10 ans après Les Nouveaux Sauvages, le réalisateur Damian Szifrón revient avec Misanthrope, un admirable polar qui contre-carre une structure galvaudée par sa fabrication exemplaire, une direction d’acteurs de haute volée et une verve acide envers l’Americana contemporain.
Mais où étais passé Damian Szifrón depuis son très bon Les Nouveaux Sauvages ? Après avoir été en pourparlers pour un film DC, le réalisateur chilien revient avec Misanthrope, polar co-écrit avec Jonathan Wakeham, et porté par Shailene Woodley (Big Little Lies), Ben Mendelsohn (Rogue One), Jovan Adepo (Babylon) et Ralph Ineson (Chernobyl). Écopant d’une sortie en catimini (et donc voué à un échec absolument pas mérité au box-office), Misanthrope se révèle être une des très grosses surprises de cette première moitié de 2023 !
Misanthrope débute le soir du Nouvel An, à Baltimore. La fête bat son plein, les feux d’artifice débutent et l’alcool coule à flot. Malheureusement les festivités vont être de courtes durées, alors qu’une personne s’écroule au sol. Puis une autre à quelques rues de là..puis plusieurs autres : un sniper se met à tuer plusieurs dizaines d’individus ! Arrivant sur les lieux, la jeune flic Eleanor (Shailene Woodley) est rejointe par Geoffrey Lamarck (Ben Mendelsohn), un haut agent fédéral.
Séduit par le regard perspicace d’Eleanor, ce dernier monte une unité restreinte avec le jeune agent du FBI Mackenzie (Jovan Adepo) et quelques autres subordonnés pour traquer ce mystérieux tueur sans mobile apparent. S’ensuivra donc une enquête également contrariée par des implications politiques, des luttes de pouvoir au sein de la hiérarchie, mais aussi le caractère borderline d’une protagoniste sans aussi brisée que le tueur qu’elle recherche.
Polar de misanthrope
Misanthrope aurait pu être en apparence un simple film policier du samedi soir dans des mains moins expertes, jonglant entre doutes de la rookie de service, coups bas de la hiérarchie, et confrontation finale musclée avec le tueur. Et si le film ne déroge pas complètement à certains éléments narratifs inhérents au genre (dont un passage impliquant un mauvais suspect), Szifrón parvient à s’émanciper de ses influences (Le Silence des Agneaux et Seven) en s’accaparant le projet de l’intérieur pour y amener de la substance, des personnages extrêmement bien écrits et tout un discours sur les dérives du monde occidental.
Et d’entrée de jeu, Misanthrope s’inscrit totalement comme un film avec un vrai cinéaste à la barre, tandis que le spectateur est propulsé tête la première dans un prologue tétanisant de 15-20 minutes. Un morceau de bravoure qui là encore court-circuite les tropes du genre, tandis que les corps s’amoncèlent au sol, et que le FBI parvient à quadriller la position du sniper. L’occasion d’admirer une superbe maîtrise de la scénographie, saupoudrée de panoramas aériens de buildings qui offrent à la fois un sentiment de gigantisme et de claustrophobie.
Les réjouissances ne s’arrêtent pas là (Szifrón amène un autre rebondissement pour mieux caractériser ses personnages et leurs motivations via leurs interactions), alors que Misanthrope renouvelle de petits climax au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Là encore, le réalisateur trouve un angle inédit, loin des assassins crypto-freudiens et autres illuminés à la petite semaine, en abordant le tueur de masse (impeccablement interprété par Ralph Ineson, présent uniquement en fin de film et qui vole la vedette une fois son entrée en scène), en miroir de son héroïne borderline.
No Country for Good Men
Car au-delà de son intrigue policière bien agencée (via quelques réminiscences de The Wire également, après tout nous sommes à Baltimore), Misanthrope amène une grille de lecture relativement étonnante et bienvenue, en tirant à boulets rouges sur les habitudes de consommation, les dérives engendrées par l’anti-terrorisme, la recherche de bouc-émissaire et le sens de la justice.
Un piratage de l’intérieur qui semble sortir des 80’s-90’s, époque bénie où des cinéastes étrangers tels que Paul Verhoeven parvenaient à lancer des missives au sein même du système Hollywoodien, tout en proposant son lot de séquences brutes de décoffrage sans détourner le regard (on pense notamment à un massacre dans un centre commercial, orchestré de manière glaçante).
Szifrón propose également des personnages rapidement identifiés : Ben Mendelsohn montre encore une fois son talent, bouffant chaque photogramme de son charisme et charismatique en diable. La relation de son personnage avec celui de Shailene Woodley évite tout cliché possible, proposant une vraie relation de partenariat authentique. Quand à cette dernière, Eleanor s’affiche comme une protagoniste aux fêlures palpables, caractérisées par un non-dit salvateur au sein duquel le spectateur peut y projeter toutes sortes de traumatisme.
Un petit grand film
On aurait cependant aimer que Misanthrope se conclut de manière moins decrescendo (avec une spatialisation plus aléatoire de son action), et peut-être porté par un personnage principal moins effacé. Rien de rédhibitoire, tant Misanthrope s’apparente globalement comme le genre de polar qui ne se fait plus du tout à Hollywood depuis une bonne décennie. Un très bon film à l’humilité prégnante, mais porteur d’une densité thématique méritant absolument le coup d’œil !
Misanthrope sortira au cinéma le 26 avril 2023
avis
Misanthrope méritait sans doute un final avec plus de corps, mais le nouveau film de Damian Szifrón s'apparente néanmoins comme un "grand petit film" sorti de nulle part. Un polar comme on en fait plus,investi d'une vraie mise en scène maîtrisée, de moments de tension admirables, de comédiens impeccables et d'une densité thématique bien audacieuse dans le paysage Hollywoodien d'aujourd'hui. Très bon !