Après le giga-phénomène qu’aura été Matrix, les Wachowskis avaient évidemment de l’idée pour la suite de la quête de Neo. Il aura fallu 4 ans pour concevoir les opus suivants, faisant office de diptyque coupé en deux. Matrix Reloaded débarque avec des espoirs fous : celui de repousser les possibles ! Néanmoins, la réception ne sera pas similaire au précédent film, de par une nature différente et plus complexe qu’il n’y parait !
Après le carton colossal de Matrix, les Wachowskis ont évidemment eu tous les voyants au vert pour concrétiser leur trilogie. Reloaded et Revolutions seront donc tournés à la suite, comme un grand film de 4H coupé en deux (et c’est évidemment de cette manière qu’il faut aborder ce 2e et 3e opus). Toute l’équipe d’origine revient, avec cette fois-ci de nouveaux personnages au casting, un budget double et un tout nouveau studio d’effets spéciaux afin de matérialiser toute l’ambition cinégénique voulue par les Wachows ! D’une durée de production de 4 ans, toute cette entreprise aboutira à des opus à succès, mais qui ne produiront cependant pas les mêmes réactions que le précédent épisode.
Matrix Reloaded débute 6 mois après Matrix. Neo embrasse sa condition d’Élu de la Matrice, censé délivrer l’humanité du joug des Machines. Malheureusement, l’étau se resserre dans le monde réel : en effet la cité de Zion (unique bastion où les humains vivent en liberté) s’apprête à connaître un assaut colossal de Sentinelles dans moins de deux jours. Alors que Morpheus doit faire face aux autorités ne croyant pas en sa foi prophétique, Neo est en proie à d’étranges visions, dans lesquelles il voit Trinity mourir. De plus, l’agent Smith, censé avoir été annihilé, revient plus fort que jamais, avec à la clé son propre obscur agenda.
De ce canevas, nos héros devront trouver l’Architecte (programme créateur de la Matrice), tout ça en trouvant le Maître des Clés (programme prisonnier permettant de créer des protes dérobées)…en trouvant le Mérovingien (programme renégat désirant vivre à sa guise dans le luxe)….via des informations de l’Oracle (qui semble être celle qui dicte le tutoriel à notre héros). L’occasion d’esquisser rapidement un des problèmes de cette suite, qui se trouve être une véritable déconstruction du parcours embryonnaire et monomythique de Neo lors du premier film !
Neo Reloaded
En revoyant Matrix, on est à chaque fois frappé par la minutie avec laquelle les réalisateurs ont conçu leurs univers, la narration, le rythme, le séquençage de l’action ainsi que leur implémentation au sein du récit. En visionnant Matrix Reloaded, le constat n’est malheureusement pas le même ! La faute en premier lieu à l’impression de voir un demi-film, donc pas totalement satisfaisant (d’autant que le métrage se finit sur un cliffhanger assez peu galvanisant). Dans un second temps, cette suite verse beaucoup moins dans le mystère, le suspense ou l’emphase émotionnelle que l’on pouvait avoir au visionnage.
Ici, Neo est représenté telle une figure ecclésiastique, autant perdu que le spectateur dans ce qu’il doit accomplir dans sa quête. Un sentiment de découverte délectable, mais qui ici se fait de manière très didactique, nuisant à l’émotion. Très rapidement, Matrix Reloaded trouve un rythme assez programmatique, oscillant entre gros tronçons explicatifs et gros segments d’action. Une mécanique moins bien huilée donc, mais qui sous son apparente grossièreté se révèle tout aussi riche de sens et de symboles que le précédent opus. Bien sûr, à défaut de révolutionner l’exploitation de cet univers !
Matrix Reloaded permet également de mettre en lumière des éléments rapidement évoqués préalablement, en particulier la cité de Zion et ses nouveaux personnages. L’occasion de voir une influence cyberpunk encore plus accentuée, via un environnement souterrain de roche et de métal sur plusieurs niveaux, semblant tout droit sorti de Final Fantasy VII. Mais outre de nouveaux personnages intéressants (dont il faudra réellement attendre Revolutions pour les voir mieux exploités), la caractérisation est peut-être un peu plus balourde (on notera surtout le Mérovingien et Perséphone, représentations du couple-seigneur de l’Outre-monde, exploités comme des PNJ pourvoyeurs de quête de jeu vidéo).
Il faut également noter que Niobe (Jada Pinkett Smith), personnage plutôt charismatique, est protagoniste du jeu vidéo Enter the Matrix, un complément permettant de mettre en lumière des évènements parallèles (qui scénaristiquement ou ludiquement n’a par contre presque aucun réel intérêt). Mais in fine, outre des antagonistes cools comme les Jumeaux albinos, ou bien Seraph (protecteur de l’Oracle, et présent dans une courte séquence d’arts martiaux), seul le trio de base est mis au tout premier plan. Cela a au moins l’avantage d’investir l’univers de Matrix d’une certaine vie (on voit par ailleurs comment la société humaine s’est organisée), même si nous n’en explorons pas nécessairement tous les recoins dans cet opus.
Fist of the Matrix
Là où néanmoins on ne peut pas attaquer Matrix Reloaded, c’est sur la virtuosité globale de sa mise en scène et de l’élaboration de ses morceaux d’action. Alors que le précédent se voulait déjà une gigantesque déclaration d’amour multi-référentielle au jeu vidéo, à la japanimation ou encore le comic book, cette suite va encore plus loin en terme de possibles. Par ailleurs, si l’effet bullet time est toujours présent dans ce film, finis les multiples appareils photos pour capturer une seule action : de toutesnouvelles technologies de caméra virtuelles ont été mises en place pour ce film, afin de créer des reconstitutions de décors auxquelles on appose des reconstitutions numériques des divers acteurs.
Le plus grand exemple étant le fameux « Burly Brawl » aka la grosse baston, voyant Neo se fritter avec de multiples agents Smith. Une scène surréaliste et percutante, débutant à 1 contre 10 comme dans un grand film d’arts martiaux HK (Keanu Reeves s’est surpassé en entraînement), avant que le nombre d’assaillants se multiplie par 10. L’occasion de voir que la suite de cette séquence pâtit du fait que les Wachows se reposent un peu trop sur leurs FX pour étirer la séquence, et aujourd’hui l’illusion faiblit un tantinet à la vue de ce Neo d’aspect vidéoludique (pas de quoi être déconnecté non plus!)
Des CGI bien plus présents donc, ainsi que des scènes d’action parfois un peu plus démonstratives qu’il en faut ne nuisent heureusement pas au plaisir kinétique et ludique de Matrix Reloaded, surtout à l’heure où Hollywood n’est pas capable de produire de très grands moments de bravoure bien musclés et élaborés. Outre une séquence des plus efficaces dans un château (sur fond de Chateau de Rob Dougan), le grand morceau de ce 2nd opus (et un des tous meilleurs de la saga) est l’impressionnante poursuite sur l’autoroute (réellement construite sur plus de 3 kilomètres). Débutant de manière classique à toute berzingue sur l’asphalte, on y voit de l’Agent bondir de pare-brises en pare-brises, tandis que Trinity remonte à contre-sens en Ducati, alors que Morpheus s’engage dans un mano-à-mano sur le toit d’un camion.
Un beau moment d’action débordant d’idées, magnifiquement cadrée par Bill Pope (Spider-Man 2, Alita Battle Angel, Shang-Chi). L’occasion de regretter une photographie légèrement moins travaillée que sur le précédent, ici moins contrastée avec sa colorimétrie verte dominante. Par contre, Don Davis revient à la musique, et signe peut-être sa composition la plus virtuose à ce jour ! Outre pas mal de reprises du précédent score, on ne compte pas le nombre d’expérimentations sonores dans Matrix Reloaded, comme dans l’hyper-véloce Mona Lisa Overdrive, ou le son de wave Zion !
La vie et l’amour
Alors que Matrix traitait de la naissance et de la découverte du monde, avec tout un aspect philosophique et panthéiste, Matrix Reloaded est en terme de fond totalement dans cette droite lignée thématique. Ici il est question de la vie (dont la scène de célébration en début de film en déborde) et de l’amour (fil rouge émotionnel de ce double-opus). Pour cette première composante, la fameuse scène où Neo confronte l’Architecte aura fait couler beaucoup d’encre. En effet, sous son aspect de charabia alambiqué crypto-didactique, ce dialogue est néanmoins charnière de ce qui est raconté dans cet opus : à savoir une déconstruction quasi-totale des repères du spectateur vis-à-vis de la quête émancipatoire de Neo.
Tout comme dans un certain Snowpiercer dix ans plus tard, la notion même de libre-arbitre est encore plus questionnée, alors que le soit-disant Élu d’une révolution se retrouve être une énième incarnation d’un rouage diaboliquement orchestré par les concepteurs mêmes de ce système matriciel, permettant d’aboutir à un semblant d’équilibre. Une frustration double (mais ô combien intéressante), d’autant que Reloaded ne se conclue sur aucun grand climax, malgré un sauvetage sous forme de lueur d’espoir, alors que Neo se découvre de nouvelles facultés capables de sans doute faire pencher la balance.
Au final, Matrix Reloaded aura été le plus gros succès de la trilogie originelle, et surtout le plus gros succès d’un film R-Rated (avant que Deadpool ou Joker débarquent 15 ans plus tard). Polarisant le public vis-à-vis du traitement de son scénario, on tient néanmoins une digne suite, inconstante dans sa finesse d’écriture, mais à la complexité de propos bienvenue. De plus, on a là un des meilleurs blockbusters d’action de ce début de XXIe siècle, porté par de vrais moments de bravoure épiques et singuliers (ce passage où Neo tourne autour d’un bâton pour filer des tatanes est sans doute le plan inoubliable de cet opus).
Se concluant sur une fin « To be continued » assez facile (un Pirates des Caraïbes – Le Secret du Coffre Maudit gérait mieux cet aspect), Matrix Reloaded ne peut qu’être évalué à l’aune du très bon diptyque qu’il forme avec Matrix Revolutions. De manière autonome, on tient heureusement une vraie bonne suite à Matrix, pas aussi sensationnelle ou parfaite certes, mais débordant d’idée, de fond et de virtuosité pour être un digne second opus !