Sapristi : un remake Netflix vient de sortir et pas des moindres. Le Salaire de la Peur revient dans une toute nouvelle mouture avec Franck Gastambide, Alban Lenoir, Ana Girardot et Fianso. Après deux immenses chef-d’œuvres signés Henri-Georges Clouzot et William Friedkin, cette 3e version signée Julien Leclercq (L’Assaut, Braqueurs) se vautre malheureusement dans les grandes lignes.
Il y a des remakes dont on se demande franchement la pertinence, mais également de vrais chef-d’œuvres qui arrivent à égaler les films originaux, tout en proposant un regard singulier. C’était le cas pour le West Side Story de Steven Sielberg, Les Infiltrés de Martin Scorsese ou bien Pour une poignée de dollars de Sergio Leone. Concernant Le Salaire de la Peur, il s’agit d’un des très rares cas où un remake a su égaler le masterpiece originel de Clouzot.
En effet, Le Salaire de la Peur est à la base un roman de Georges Arnaud sorti en 1949, adapté au cinéma 4 ans plus tard par le réalisateur de Quai des Orfèvres et Les Diaboliques. Un illustre prétendant au rang de plus grand film français de l’Histoire, détenteur de la Palme d’Or et du Lion d’Argent en 1953.
Le Salaire de la Peur : revisite d’un monument français
L’histoire nous emmenait dans un pays d’Amérique du Sud, sorte de page blanche délaissée par l’État où règne la corruption et la misère. Au même moment, un incendie à plusieurs centaines de kilomètres ravage un puits de pétrole (seule source de richesse de la région). Quatre européens sont ainsi mandatés dans une mission de la plus haute dangerosité : transporter deux camions emplis de nitroglycérine pour combler le puits, et obtenir leur ticket de sortie de cet enfer aride.
Résultat de ce Le Salaire de la Peur (1948) un film à la mise en scène précise (Mad Max Fury Road en est même un héritier) pour un récit empli de tensions, mais toujours à hauteur d’homme. Une dimension que William Friedkin (L’Exorciste, French Connection) appuiera encore plus dans Sorcerer, remake à la dimension métaphysique et fataliste dingue, qui s’avèrera autant un immense échec que le meilleur film de son auteur.
C’est donc avec un regard circonspect qu’on regarde Le Salaire de la Peur version Julien Leclercq, tourné comme un TVfilm de luxe pour Netflix : pourtant d’entrée de jeu la volonté de « moderniser » et réadapter le récit est une bonne idée assumée. Exit l’Amérique du Sud, bienvenue au Moyen-Orient (même si la présence française omniprésente n’est pas des plus logiques contrairement à l’Afrique) avec de nouveaux personnages.
Remake avec de l’eau dans le gaz
D’un côté deux frères joués par Franck Gastambide (Taxi 5, Validé) et Alban Lenoir (Balle Perdue, AKA) dont la relation a pris un coup dans l’aile lorsque le premier a engagé le deuxième dans un vol s’étant soldé par l’emprisonnement de ce dernier. De l’autre une médecin sans frontière jouée par Ana Girardot (Ogre) ayant vaguement un lien affectif avec ce pays, et un mercenaire à la solde d’une ONG chargé d’assurer la sécurité du convoi (Fianso !).
Des rapports différents alors que ce quatuor se connaît déjà, et dont l’enjeu principal d’escorter le convoi de nitroglycérine sera pour empêcher l’explosion de deux poches de gaz menaçant le village voisin, mais également d’assurer le retour des deux frangins en France avec la famille d’Alan Lenoir. Une dimension émotionnelle versant un peu trop dans le pathos, mais qui se veut une motivation basique relativement crédible.
Malheureusement il ne faudra pas longtemps au spectateur pour voir que Le Salaire de la Peur version 2024 enchaîne les enfilages de perles tout en dévitalisant la substantifique moelle du récit originel. Exit la notion de danger de la route et la dimension existentielle de l’histoire, ce remake renvoie à toute la Taliban-sploitation dont le cinéma américain des 00’s raffolait, mais dans une itération dénuée de spectaculaire ou de réelle tension.
Enfilage de perles d’Orient
Il faudra régulièrement se pincer devant les décisions entreprises par le groupe, tandis que le réalisateur ne traduira jamais la dangerosité que représente le convoi (ou bien le fait de se faire tirer dessus par des moudjahidine eco+ désincarnés). Et vas-y que je roule sur des rochers ou à travers un ruisseau sans complications, la véritable source d’opposition dans Le Salaire de la Peur reviendra de manière complètement téléphonée à travers plusieurs rencontres face à un groupuscule armé anonyme.
Le tout devient même franchement embarrassant alors que l’écriture globale s’amuse à enchaîner les facilités, à l’instar de ce champ de mine immédiatement oublié dès lors qu’une nouvelle incartade avec un sniper (dont aucune balle ne touchera la nitroglycérine évidemment) se conclut par une mort sans aucun gravitas car circonscrite à un personnage tertiaire plus proche du figurant.
Même la BO d’Eric Serra (Goldeneye) ne parviendra pas à donner la tension nécessaire à cette aventure sans tambour battant, jusqu’à un final se loupant complètement dans une dimension cathartique sacrificielle aussi balourde que galvaudée (une pierre sur l’accélérateur et une évacuation de village suffisaient les ptits potes !). On en ressort de là avec heureusement une excellente nouvelle : les masterpieces de Clouzot et Friedkin seront toujours là pour faire honneur au Salaire de la Peur !
Le Salaire de la Peur (l’original et le remake) sont disponibles sur Netflix
avis
Exit la dimension métaphysique ou le purgatoire existentiel des films de Clouzot et Friedkin : Le Salaire de la Peur version Julien Leclercq s'identifie avant tout comme un enfilage de perles à l'écriture grossière, aux personnages sans consistance et au récit dénué de toute tension. Un TVfilm où l'ennui et le nivellement par le bas dominent ce dangereux périple dopé à la nitroglycérine de pétard mouillé. Une mauvaise réadaptation tout simplement !