Initialement présenté à la Mostra de Venise, La Bête de Bertrand Bonello est sans doute l’OVNI cinématographique de ce début d’année. Une histoire mêlant SF et romance pour une dissection des rapports affectifs contemporains. Un grand bordel avec un vrai fond néanmoins, et un beau duo de comédiens (Léa Seydoux et George Mackay).
La Bête est librement adaptée de La Bête dans la jungle d’Henry James. Célèbre nouvelle abordant la notion d’amour non-consommé, de regrets et de crainte d’allure divine, cette fois-ci reprise par Bertrand Bonello (Nocturama, Saint Laurent). La subtilité étant qu’on se retrouve avec un récit de SF dystopique, naviguant entre 3 époques distinctes.
En effet, nous La Bête s’ouvre dans un futur proche, alors que les émotions sont devenues une menace pour la société. Gabrielle (Léa Seydoux) décide ainsi de s’abolir de ses sentiments intenses, en purifiant son ADN. Pour se faire, elle va être plongée dans ses vies antérieures (en 1910 et en 2014), tout en faisant la connaissance de Louis (George MacKay).
La Bête, ou catastrophe métaphorique
Ainsi, La Bête évolue entre ces trois époques via des motifs communs : Léa Seydoux et George MacKay qui interagissent, une figure de poupée, un pigeon de mauvaise augure, une soirée dansante.. On se croirait presque dans le projet Cloud Atlas mâtiné de Twin Peaks, dans un style beaucoup plus minimaliste ! Une approche déconcertante pendant une bonne partie du visionnage, mais qui prend sens qu’à sa toute fin.
Néanmoins, on regrettera une durée de presque 2 heure 30 relativement pachydermique alors que La Bête semble finalement peu enclin à incorporer plus d’idées conceptuelles au sein de ses diverses timelines. Pire, Bonello étire à outrance des répétitions de séquences lors du second segment (se déroulant à Los Angeles). Le résultat est donc un spleen méditatif certain devant ce voyage mental, mais également un régulier manque d’emphase émotionnelle ou de tenue rythmique.
Pourtant, cette aseptisation renvoie finalement bien à l’univers stérile du film, jusque dans son propos (Bonello est jusqu’au-boutiste avec le générique de fin) sur la déshumanisation de nos mœurs. Tel un puzzle des affects, La Bête nous plonge finalement non pas dans 3 personnages différents, mais 2 extrêmes émotionnels (celui d’un amour impossible et d’une violente rupture du rapport homme-femme) expliquant une humanité euthanasiée devant faire face à sa propre psyché post-traumatique.
Yin et yang émotionnels
Une grille de lecture qui rend La Bête passionnant dans son fond théorique, même si le récit en lui-même se veut parfois plus lénifiant que stimulant. La reconstitution d’époque de 1910 en est d’ailleurs un exemple, avare en détails (usant avant tout d’inserts de la grande crue de la Seine) malgré le soin apporté aux costumes. Heureusement, l’alchimie entre les deux acteurs fonctionne surprenamment bien, jonglant entre le français et l’anglais avec aisance, tout en usant de non-dit pour donner du bagage à cette relation.
C’est dans cette économie de moyen et cette aridité que La Bête surgit avec d’autant plus d’impact, alors que le segment en 2014 précise mieux ses intentions (avec quelques sabots il est vrai), tout en renversant les rapports entre les deux protagonistes. Jusqu’à un final en 2044 usant avec efficience de son cadre dystopique (une boîte de nuit affichant des thématiques musicales nostalgiques), même si là aussi assez pauvre.
Au final, La Bête est un film difficile d’accès, nécessitant l’attention de son spectateur. Un contrat qui paie ses fruits malgré l’aspect rude et boursouflé de son récit global. Néanmoins, ce nouveau film de Bonello parvient à prendre efficacement le pouls d’une époque ne sachant plus comment gérer ses propres émotions ou le rapport à l’autre. Et c’est dans cette note d’intention que le film séduit au final, aidé par son beau duo de comédiens.
La Bête est sorti au cinéma le 7 février 2024
avis
Avec La Bête, Bertrand Bonello accouche d'un objet filmique un peu inclassable et assez rude au premier abord. Son récit inutilement étiré pourrait ainsi en perdre quelques uns, à l'image de son futur dystopique épuré tout en suggestion. Pourtant, ce drame de SF psychanalytique parvient à régulièrement nous accrocher par sa mise en scène mutante, son duo d'acteurs impliqué, et tout un discours pertinent sur la neutralisation de l'affect dans notre société contemporaine. Un drôle de film, qui tel un caillou dans la chaussure, nous désarçonne !