Je verrai toujours vos visages confirme, après Pupille, le talent de Jeanne Herry pour filmer l’intime et des combats sociaux aussi forts que pétris de justesse.
Je verrai toujours vos visages est le troisième long-métrage de Jeanne Herry, et sa seconde vraie belle réussite. Il faut dire qu’Elle l’adore, son premier essai, paraissait quelque peu inabouti surtout au vu de son bouleversant successeur, Pupille. La cinéaste, en filmant le douloureux parcours de l’adoption, de la naissance de l’enfant à sa famille d’accueil provisoire ainsi que tous ses acteurs, signait un film aussi juste que sensible, à la direction d’acteurs superbe. Jeanne Herry se révélait alors enfin, et son talent pour les récits forts, baignés dans le social, offrait enfin un écrin parfait à une réalisatrice qui s’était enfin trouvée et révélée, alliant alors succès public (près de 900 000 entrées) et critique (7 nominations très méritées lors de la 44e cérémonie des César), une prouesse pour un sujet aussi difficile que délicatement traité.
Je verrai toujours vos visages poursuit ainsi cette même voie en s’attaquant au sujet passionnant de la Justice Restaurative, un service français né en 2014 faisant se confronter victimes, bénévoles et auteurs d’infraction pour mener les uns sur la voie de la réinsertion et sur celle d’une possible réparation pour les autres. Réunissant un casting prestigieux, entre acteurs fidèles vus dans ses précédents projets (Miou-Miou, Élodie Bouchez, Gilles Lellouche, Bruno Podalydès), grands noms (Adèle Exarchopoulos, Leïla Bekhti, Jean-Pierre Darroussin, Fred Testot) et révélations (Suliane Brahim, Dali Bensalah et Birana Ba, tous deux vus dans Athena), Jeanne Herry réitère l’exploit sensible de Pupille, retrouvant ainsi avec le même talent la voie du drame social et intimiste lorgnant parfois, pour le meilleur, du côté du documentaire.
Safe-space
Je verrai toujours vos visages est donc un film sur la parole. Une parole qui pour être correctement entendue, se doit d’être délivrée dans un espace protégé, peuplé d’interlocuteurs aussi attentifs que concernés, et de spectateurs qui doivent l’être tout autant. Après une introduction très maline, où le cercle se met en place, comme une mise en bouche avant d’écouter les témoignages de victimes et d’auteurs d’infractions, Jeanne Herry croque ainsi toujours avec la même justesse le travail de formation de bénévoles et autres travailleurs sociaux, subtilement interprétés par Élodie Bouchez, Jean-Pierre Darroussin, Suliane Brahim et Denis Podalydès, et la préparation à ce processus passionnant qu’est celui de la Justice Restaurative.
Il y a ainsi là tout ce qui fera la grande qualité de Je verrai toujours vos visages, et de son principe très risqué de tenter de capturer une parole qui se libère pendant près de deux heures de métrage. Des personnages perpétuellement assis, et une posture éloignée de tout jugement, de tout a priori, presque à rebours de notre époque, comme un espace clos construit contre les tempêtes d’une société déchirée, d’un brouhaha médiatique perpétuel où les affrontements se voient plus scrutés que les véritables dialogues. Et c’est la première très grande prouesse du troisième long-métrage de la réalisatrice, à savoir celle de créer un espace intime où une représentation variée de la population se voit réunie dans toute sa diversité, filmant ainsi un dialogue perdu avec autant d’intelligence que de bienveillance.
Sur écoute
On retire ainsi de Je verrai toujours vos visages quelque chose d’infiniment précieux. De ces deux récits, de ces deux façons de mettre en scène la Justice Restaurative, à savoir le suivi d’un groupe de parole en centre d’incarcération et du parcours douloureux d’une victime pour renouer le dialogue avec son agresseur (bouleversante Adèle Exarchopoulos), Jeanne Herry réussit sur tous les plans. Sa mise en scène discrète relève ainsi d’un véritable travail d’orfèvre, rempli de détails et de finesse d’écriture lorsqu’il s’agit de mettre en scène un traumatisme, où de diriger un casting prestigieux comme un véritable groupe, où personne ne semble tirer son épingle du jeu, s’inscrivant avec une générosité de chaque instant pour un collectif tous évertués à rendre aussi juste que possible ces sujets aussi forts que nécessaires.
Je verrai toujours vos visages poursuit ainsi la belle prouesse d’En thérapie, l’adaptation française magistrale de la série israélienne BeTipul, du duo Éric Tolédano et Olivier Nakache qui capturait avec la même beauté, économie de moyens, maestria de la mise en scène et de l’interprétation cette précieuse parole qui se libère. Jeanne Herry, grâce à son infinie délicatesse, et son scénario très abouti, nous mène ainsi vers un final véritablement déchirant, où les murs de cet espace clos et intime semblent alors exploser, pour faire jaillir et saisir avec majesté une réconciliation avec les autres, avec soi-même, et transfigurer la salle de cinéma en un véritable groupe de parole dont le silence renforce un peu plus ce beau moment d’écoute et surtout, de cinéma.
Je verrai toujours vos visage sort le 29 mars 2023.
Avis
Jeanne Herry réitère l'exploit de Pupille, son précédent long-métrage, en renouant avec la même délicatesse, sensibilité et sublime direction d'acteurs. Je verrai toujours vos visage réussit ainsi la véritable prouesse de rendre vivante et palpable une parole qui envahit l'écran, et surtout les cœurs pour un moment d'écoute collectif, et surtout, de cinéma.