On ne pouvait qu’être fébrile à l’idée de découvrir un nouveau long-métrage de David Cronenberg (la Mouche, History of Violence) 8 ans après Maps to the Stars. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on voulait du Cronenberg et on en a, en chair et en sexe.
Les Crimes du futur fait partie de ces film qui sont difficiles à résumer. Dans un monde décrépi, mélange étonnant entre le post-apo et l’anticipation, Saul Tencer (Viggo Mortensen) a des nouveaux organes qui poussent naturellement dans son corps. Avec Caprice (Léa Seydoux), il en a fait un spectacle où l’organe est extrait avec une opération chirurgicale sous les yeux ébahis des spectateurs. De son corps et de l’opération naissent une nouvelle forme d’art… et de sexe.
Tout est sexe, tout est art
En peu de temps (1h47) et dans le cadre intimiste de cette petite ville imaginaire grecque, Cronenberg réussit à intégrer tous les sujets qu’il veut aborder sans que cela ne parte dans tous les sens. Aussi abscons que puisse paraitre le récit à son début, il distille la logique de son univers avec parcimonie et intelligence afin qu’on comprenne l’envers du décor sans trop de difficulté.
Comme à son habitude, le réalisateur nous propose une mise en scène tout en contrôle et précision avec pour accompagner ses images un thème musical somptueux qui est l’œuvre de son talentueux compositeur fétiche, Howard Shore (auteur entre autres de la musique de la petite trilogie inconnue le Seigneur des anneaux…). Bref, tous les ingrédients du monde de Cronenberg sont là, sont observables et sont audibles.
Et comme souvent chez le cinéaste, il y a une forme de satire de la société dans laquelle on vit. Le cinéma de genre lui permet de coller au plus près à la réalité en pointant du doigt l’étrangeté de notre monde. Ce dernier dans lequel déambule les personnages des Crimes du futur ne connait plus la douleur physique. C’est à travers la transformation en quelque chose de différent que l’humain réagit à ce monde froid et hostile. On y fait la rencontre d’un groupe d’hommes et de femmes qui ne mangent que du plastique et donc seulement les déchets laissés par l’homme. On aperçoit les tentatives de régulation de l’État d’une évolution du corps humain qui lui échappe et qui le terrifie. On découvre les pulsions qui mènent les transformations et scarifications à devenir « le nouveau sexe » comme le dit si justement le personnage de Kristen Stewart (une membre d’un groupe de régulation des nouveaux organes qui prend littéralement son pied à voir Saul Tencer se faire charcuter). Car, on le sait que trop bien : le sexe et Cronenberg ne font qu’un. Ce n’est pas forcément de manière littérale par l’acte charnel, mais plutôt dans la puissance érotique du corps et le côté organique distillé dans les moindres recoins du film (chaises et lits qui ressemblent à des créatures extra-terrestres et au rendu très sensuel).
Un style qui n’a pas changé
Cronenberg l’a annoncé lui-même : il s’attendait à voir des gens sortir de la salle. Et c’est peut-être là le principal défaut du film : il ne choque pas. Il aurait probablement choqué il y a 40 ans, alors que le cinéaste canadien troublait les spectateurs de cette époque avec des œuvres majeurs comme Vidéodrome, Crash ou Faux-Semblants. Mais si l’approche esthétique du réalisateur a peu changé, l’époque n’est plus la même. Face aux organes, découpes au scalpel et autres engins organiques « cronenbergien », on ne ressent véritablement aucune gêne. Plus rien ne choque. Que Cronenberg en est conscience ou non, qu’il est recherché le choc ou non, il n’en demeure pas moins que son style inimitable n’a plus la même vivacité qu’auparavant.
Au final, peut-être ne reste-il seulement que l’essence de l’œuvre : un humour décalé qui fait mouche, un choc qui n’existe plus pour laisser place simplement au jeu charnel avec le spectateur et enfin un univers fascinant profondément ancré dans le réel tout en étant parfaitement irréel. En soi, Les Crimes du futur est un film somme qui incarne toutes les grandes idées du cinéaste depuis 50 ans. Déconnecté de sa filmographie, il en impose par son univers, sa mise en scène et son aspect organique. Intégré à celle-ci, il apporte un plaisir quasi nostalgique aux spectateurs qui ont grandi avec son œuvre, quitte à ne plus les surprendre. Ce retour aux sources de David Cronenberg se révèle être un franc succès, mais qui face à l’écrasante carrière du bonhomme, n’en est pas moins qu’un très bon film parmi des merveilles de chair et de sexe.
Les Crimes du futur est présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2022 et sort dans les salles obscures le 25 mai 2022.
Avis
Cronenberg ne surprend pas avec Les Crimes du futur, mais il propose une œuvre quasi testamentaire de sa filmographie. Du pur plaisir pour le spectateur !