Annette voit Leos Carax ouvrir la 74ème édition du Festival de Cannes avec fougue et beauté. Un prix de la mise en scène en poche et des sentiments malheureusement laissés de côté.
Annette n’est que le sixième long métrage de Leos Carax en près de 40 années de carrière. Personnage à l’univers à part, son apparente discrétion et son mystère contrastent avec la fougue de ces propositions cinématographiques, dont la beauté grandiloquente de la bande-annonce d’Annette en aura fait rêver plus d’un, et ce à juste titre. C’est entouré des Sparks au scénario que l’univers de Leos Carax se teinte de réel, en convoquant sur les notes d’une comédie musicale une œuvre bien plus personnelle qu’il n’y parait. Parce que si pour la première fois en 40 années le cinéaste ne signe pas le scénario, ce dernier parle d’une époque et de sa place d’artiste de la plus brillante des manières.
L’art et le factice
Annette débute par une tonitruante ouverture, méta et enjouée, sur ce qui restera comme l’un des plus beaux titres de cette année marquant en grâce le retour en force de Leos Carax et des Sparks (qui seront également à l’affiche d’un documentaire cette année réalisé par Edgar Wright). Dès le début, les personnages enfilent leurs costumes respectifs sous la houlette d’un réalisateur qui livrera sous nos yeux émerveillés une confrontation aussi belle que torturée entre l’art et le factice. Cette dualité se trouve incarnée par un monstrueux Adam Driver et une gracieuse Marion Cotillard, lui l’humoriste provocateur et elle la cantatrice à la voix d’or qui se met à mort chaque soir sur scène.
Tandis que lui veut faire mourir de rire son public, au propre comme au figuré, pétri de provocations, d’effets faciles et grotesques, elle se donne toute entière à une assemblée ensorcelée par sa voix d’ange, instrument maudit qu’elle n’aura de cesse d’entretenir au grand dam d’un amour sombre et destructeur. Oscillant entre le grand art et l’artificiel, Annette émerveille autant qu’il écœure, synthétisant à merveille cet affrontement entre deux corps étrangers à la conception de l’art diamétralement opposée.
Inaccessible beauté plastique
Cependant, dans ce ballet virtuose les sentiments demeurent malheureusement soigneusement bien rangés. Leos Carax semble ainsi manier à merveille ses marionnettes au milieu de tableaux splendides où jamais rien ne vacille. Comme si la beauté plastique étouffait la moindre larme, ce théâtre merveilleux ne semble jamais enrayer son impeccable mécanique pour laisser un peu respirer ses personnages à bout de souffle.
L’on pourra cependant s’étonner de la résonnance actuelle que prend aujourd’hui cette idée originale de comédie musicale des Sparks remontant à plusieurs années : tout ce qu’il y a de plus monstrueux dans l’art y est ainsi dépeint avec verve et audace. De l’abus de pouvoir à la marchandisation en passant par la provocation, tout ce que porte Annette en fait un morceau d’une époque à lui tout seul, ballet aussi somptueux que monstrueux sur un art offert en pâture pour enrichir les plus monstrueux individus. Même si les personnages les émotions semblent laissées de côté, la performance est vaste, et le message fort. Jusque dans ses dernières minutes. Et Annette se trouve être un sacré morceau de cinéma, et une œuvre à part où l’art cohabite enfin avec le monstrueux de la plus splendide des façons.