Acharnés (Beef en VO) est une nouvelle série Netflix produite par A24 (Euphoria, Moonlight, Uncut Gems), créée par le coréen Lee Sung-jin. Cette comédie dramatique menée par Steven Yeun et Ali Wong fait déjà office d’une des meilleures œuvres du petit écran sorties cette année, où comédie et drame se répondent !
Acharnés (« Beef » en VO, à traduire comme « se battre » ou « être confronté ») débute en nous présentant Danny Cho (Steven Yeun), un américain trentenaire d’origine coréenne vivant à Orange County, Los Angeles. Tentant de lancer sa modeste entreprise d’aménagement, Danny essaye de joindre les deux bouts, de contenter ses parents retournés au pays suite à la faillite familiale et d’impliquer son jeune frère Paul (Young Mazino) pour un avenir plus radieux. Et c’est lors d’une radieuse après-midi que Danny va entrer en altercation avec Amy Lau (Ali Wong), suite à un refus de priorité sur un parking !
Des égos d’Acharnés
Amy quand à elle, a tout pour être heureuse : elle est riche, mariée au descendant d’une famille japonaise nantie, et sur le point de passer un juteux contrat commercial. Provoquant elle aussi Danny (avec une poursuite en voiture impliquant quelques dommages collatéraux !), sa vie va être entièrement chamboulée suite à cette rencontre. S’engage alors une véritable guerre d’égo, où la vengeance côtoiera les frustrations du quotidien, tout en ayant des répercussions sur leur entourage.
Via ce pitch de départ, Acharnés laisse penser à une comédie US typique où guerre de voisinage et marivaudage se marient dans un gros crescendo burlesque. Et si la série de Lee Sung-jin (mise en scène par lui-même, Hikari et Jake Schreier) verse aisément dans l’humour caustique, le tout prend rapidement une toute autre dimension au fil d’une intrigue plus riche qu’il n’y parait, où le rire laisse ainsi place au drame existentiel terriblement humain !
Explosion des frustrations
D’entrée de jeu, on plonge dans Acharnés affublés de chaussons tout à fait confortables, où le conflit entre les deux personnages se veut terriblement ludique. Aussi loufoque que la prémisse puisse paraître, n’importe quel spectateur a déjà ressenti ce bouillonnement intérieur en lui, où une simple goutte d’eau qui déborde un jour suffirait à nous faire basculer dans le pétage de plombs absolu
Un pugilat usant de divers ressorts, où chantage et manipulation à double-tranchant conduiront à faire s’effondrer la situation des protagonistes jusque vers des cimes surprenantes (les deux derniers épisodes n’hésitant pas à verser vers le genre ou le surréalisme au moment opportun). Entre conflit fraternel, suspicion de tromperie, résurgence de trauma d’enfance ou bien pressions familiales, c’est à une étude de mœurs et des tourments humains contemporains qu’Acharnés nous invite insidieusement !
Point de revanche slapstick à chaque épisode donc, bien que la série bâtit efficacement la confrontation-répulsion de Danny et Amy. L’intérêt est avant tout de gratter le vernis de deux vies radicalement opposées au sein de la middle-class occidentale, qu’elle soit en haut de l’échelle sociale ou toujours à son pied pour tenter de la gravir. Acharnés vire ainsi vers la fable et le drame beaucoup plus profond, en disséquant la dépression moderne du XXIe siècle !
Crazy (Rich) Asians
Tout comme une certaine Atlanta, Lee Sung-jin amène avec Acharnés un regard socio-ethnique des plus authentiques en plaçant ses personnages au sein d’un héritage asiatique varié (coréen, chinois, japonais…), et ainsi offrir une peinture multi-culturelle tout à fait signifiante dans l’Americana moderne !
L’occasion de jouir d’un humour noir régulièrement débridé (et la scène de masturbation la plus drôle et « so american » vue depuis un bon moment !), côtoyant régulièrement les introspections et crises de nerfs d’individus partageant ce même sentiment de vide et de spleen face aux frustrations les plus enfouies.
Outre une mise en scène maîtrisée et un casting confirmé, Acharnés bénéficie grandement de son impeccable duo de comédiens principaux. On ne présente plus Steven Yeun (The Walking Dead), qui en quelques années a prouvé l’étendue de son talent via une gamme de rôles disparates (Burning, Nope). La casquette de loser magnifique et mélancolique lui sied à merveille, tantôt enclin à ronger son frein dans le Burger King le plus éloigné ou bien opérer une catharsis musicale dans l’église coréenne du coin.
Mais à ses côtés, Ali Wong (En Avant, Birds of Prey) trouve ici le meilleur rôle de sa carrière, usant de son humour et sa gestuelle pour disjoncter le délitement intériorisé d’une femme prisonnière d’un mal-être profond. Des personnages à fleur de peau qui contrastent avec certains plus excessifs et épuisants (notamment Isaac, véritable caillou dans la chaussure pour chacun d’eux), nous renvoyant à notre propre condition.
Tragi-comédie humaine
Drôle, bénéficiant d’une belle fabrication, d’un casting de talent et d’une réelle écriture qualitative, Acharnés fait office de vraie surprise en s’imposant comme une œuvre casse-gueule, mais qui réussit ses ruptures de ton ainsi que ses velléités philosophiques avec un naturel désarmant et une efficacité redoutable. Débutant tel un récit revanchard prêtant au récréatif s’impose comme une réflexion pertinente de notre propre absurdité. Celle qui fait de nous des êtres humains imparfaits aux nuances de gris, à la fois agresseurs et victimes, mais aussi épanouis ou en pleine détresse.
Acharnés est disponible sur Netflix depuis le 6 avril 2023
avis
Acharnés (Beef) s'impose déjà comme une des séries de l'année, transcendant son canevas de base ludique pour proposer une vraie "dramédie" existentielle tantôt caustique, tantôt réflexive, sur notre propre mal-être. Très bien écrite et inteprêtée,c'est àne pas manquer !