Tout commence toujours par une histoire d’amour (soliloque autour d’une disparition) est un seule-en-scène poignant qui explore l’absence.
Tout commence toujours par une histoire d’amour, et puis parfois, à 7 ans, on se retrouve abandonnée par un père. Et puis le vide et le manque viennent remplacer l’amour. Il vit toujours dans la maison aux volets rouges, mais sans elle. Alors il faut apprendre à faire avec, ou plutôt sans ; réussir à ne pas disparaître complètement dans ce vide marécageux et à dompter la colère qui s’est empressée de faire son nid.
Écritures numérique, musicale et scénique s’entremêlent dans ce récit fragmenté qui nous raconte à la fois la construction d’un amour et celui d’un manque ; qui explore l’absence et les différentes formes qu’elle peut prendre au fil du temps. Malgré une construction qui peut sembler un peu confuse, cette pièce-puzzle magnifiquement interprétée ne laisse pas indifférent.
« Pourquoi est-ce si difficile de dire « Je » ? Pourquoi est-ce si difficile de se laisser regarder, de se laisser voir, sans rien tenter d’autre qu’être soi ? Pourquoi est-ce si difficile d’exister ?’
Tenter d’apprivoiser l’absence
La jeune femme évoque des souvenirs, s’interroge, nous questionne et installe dès les premiers instants un rapport de proximité avec le public, faisant d’office disparaître le quatrième mur. Elle nous accueille et nous entraîne dans cette histoire dans laquelle nous tiendrons nous aussi plusieurs rôles : celui de membre de la famille, de confident, de témoin.
Et ne vous fiez pas à l’apparente légèreté des premiers instants, ce n’est là qu’une manière de s’approcher sur la pointe des pieds de ce qui gronde et menace à l’intérieur, si difficile à consoler, à digérer. Elle y pénètre peu à peu, au grès des titres des chapitres, photos de famille, extraits de ses lettres d’enfants, ou autres archives personnelles projetées sur des panneaux coulissants. Tout comme cette définition du mot « disparaître » qui revient sans cesse.
Du frémissement à l’ébullition
Madame R. s’accroche au récit de son histoire, à ses moindres détails. Elle remonte le temps et assemble les pièces du puzzle qui ont menée – non sans mal – la petite fille jusqu’à sa vie de femme, traversant les âges et les rôles qui ont jalonné cette construction. Avec une mine d’enfant boudeuse et une robe de petite princesse juste enfilée par les bras, elle raconte ses 7 ans,la naissance de ses sœurs, l’impression soudaine de ne plus avoir sa place, la peur de déranger…
Et puis, à mesure qu’elle nous parle de celui qu’elle désigne comme « l’homme qui l’a mise au monde » pour le tenir suffisamment à distance, cette colère sourde qui hurlait dedans finit par jaillir. Colère contre l’absence d’un père, le deuil d’un vivant impossible à faire, le manque. Les paradis artificiels deviennent alors un refuge tandis que le noir engloutit tout.
Les mots, alors, débordent comme le ferait la lave d’un volcan resté trop longtemps éteint. Et ce qui sonne d’abord comme une confidence prend peu à peu la forme d’une interminable plainte, d’un long égarement.
Une construction un peu trop sophistiquée
La forme de ce spectacle est un peu déconcertante et complexe à appréhender à première vue. En effet, cette Mademoiselle R. qui se tient devant nous, sans artifice, est tour à tour autrice, actrice et personnage de l’histoire intime dans laquelle elle nous plonge. Et si l’on comprend assez vite qu’il s’agit d’une seule et même personne, éparpillée, on se demande si cette construction un peu confuse était vraiment nécessaire au propos.
D’autant que l’interprétation sensible d’Anna Bouguereau suffit à donner à ce spectacle toute la puissance que l’on sent frémir à sa source. En effet, la comédienne que nous avons découverte en 2019 dans son seul-en-scène Joie – qui nous avait valu un immense coup de cœur – est troublante de sincérité. C’est d’ailleurs pourquoi Tout commence toujours par une histoire d’amour faisait partie des espoirs de notre sélection pour cette nouvelle édition du Festival OFF.
Une fois de plus, elle nous hypnotise de sa présence, simple et authentique, de son regard qui semble lire au fond de l’âme, et de ces mots de Pauline Ribat dont elle prend merveilleusement soin. Si bien que malgré toute la douleur et la violence de ce récit, la douceur et l’espoir ne cessent pas un seul instant de s’y frayer un chemin.
Tout commence toujours par une histoire d’amour (soliloque autour d’une disparition), écrit et mis en scène par Pauline Ribat, avec Anna Bouguereau, se joue du 07 au 29 juillet, à 18h50, au 11. Avignon (relâche le mardi).
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
Ce récit est toutefois tellement intime et personnel qu'il nous a un peu manqué de pouvoir davantage nous y projeter, nous identifier, y connecter quelque chose de notre histoire et accéder plus concrètement aux émotions universelles qu'il aborde.