Kena Bridge of Spirits est enfin sorti et les professionnels de la profession ont enfin pu nous bassiner avec les sensations de la Dualsense, ce qui est super bien puisque bah, on s’en tamponne la ponceuse en fait. En tout cas, nous, les sans-dents, on a quand même pu jouer au jeu et on a plein de choses à en dire ! En bien, en mal, surtout en mal ? Faut voir.
En tout cas, et on s’en excuse le plus platement que possible, on ne vous glissera pas mot au sujet non moins crucial de l’utilisation de la manette PS5. Zut. Alors. C’est bête ça. Peut-on vraiment être pertinent sur la question Kena Bridge of Spirits sans s’attarder là-dessus ? Rien n’est moins sûr.
L’éléphant dans la pièce
Difficile de parler de Kena en esquivant le sujet, donc autant nous y mettre tout de suite. Non seulement Ember Lab signe un très joli jeu – retenez le “joli” – mais a aussi veillé à offrir un bilan technique solide et une optimisation au poil, à quelques freezes près. Sur une configuration d’il y a 6-7 ans, le jeu tourne comme un charme en QHD, se permettant même de charger en un claquement de doigt. C’est le genre de chose qui fait du bien au sortir du lancement compliqué de Deathloop sur PC.
S’il fallait aller chercher un “vrai” reproche technique à lui faire – au côté d’une mention spéciale pour la façon dont les Rots viennent dynamiquement habiller l’environnement – il faudrait se tourner du côté de l’aspect très figé de certains éléments du décor. Toutes ces caisses en bois dans lesquelles on ne peut pas gaiement se rouler seront sans doute de vrais crève-cœurs pour les joueurs endurcis de Dark Souls.
Un peu plus sérieux comme reproche cependant, la palette de couleurs (et d’environnements) un poil radine. Après les essais en la matière d’un Ghost of Tsushima et soyons fou, d’un The Witness, Kena semble constamment jouer sur les mêmes nuances, un vert printanier tantôt un poil jauni, tantôt un poil plus sombre. Le jeu d’Ember Lab manque de ruptures et de contrastes.
Pixar ?
Kena Bridge of Spirits est “joli”, nous y venons, il a la saveur d’une “engine tech demo”, un sublime décor que l’on pourrait faire basculer d’une main. D’ailleurs, il y aurait sans doute beaucoup de rapprochements à faire entre la saveur visuelle de ce titre et la démo d’Unreal Engine 5 qui avait fait sensation chez Playstation.
Cette saveur de “plein les mirettes », qui n’a comme aboutissement que la petite claque sur la joue et les compliments bien sentis d’un… ne froissons personne. Le “joli” de Kena ressemble à un cruel manque d’identité. En l’état, il est un sublime filmdanimation.exe qui sonne un peu creux, comme un pot-pourri Pixar-isant. La plus belle expression de cela étant encore ses « superbes » cinématiques ou cet esprit de la nature mi-panthère mi-pelouse.
Comme une bande démo, Kena n’a pas besoin de contexte, cela n’a aucune valeur. Kena n’est pas une porte ouverte sur un univers, mais plus une machine à wallpapers, des images sans contexte, sans lieu, sans être et donc surtout, sans identité. Aucunement “moche”, bien au contraire, Kena est “simplement” un jeu “bêtement” joli… Oui, on marche sur une fine bande.
Le prolongement – et achèvement sans doute – de ce pot-pourri visuel est évidemment sa bouillabaisse narrative. Difficile de se sentir tout à fait concerné devant ce bingo du scénario d’animation garanti “poésie des émotions”. Esprit de la forêt, acceptation et pardon, le cycle de la vie, le mal corrupteur… Tout y est à presque en faire imploser la grille. Kena – comme un certain lombax – n’a rien sur le plan visuel, narratif ou émotionnel des comparaisons “quick and dirty” que l’on lui a trop généreusement accordées.
Kratos à la montagne… il galère
Maintenant débarrassé des points superflus et survendus, on peut s’attaquer à ce qui nous a en réalité très positivement surpris dans le titre d’Ember Lab. Enfin, on arrête un temps de se plaindre. À certains égards, en y jouant, on ne pouvait s’empêcher de penser à une version expurgée du God of War de 2018, un comparo pas toujours à l’avantage du monolithique jeu de Santa Monica.
Par exemple, même si on n’évite pas totalement la grimpette “à la Uncharted”, le jeu va rapidement introduire un arc et des bombes, question d’enrichir l’aspect plateforme. Section chronométrée et usage de l’arc pour se téléporter ou agencer les plateformes, bien que ces phases restent des respirations entre des combats plus consistants, le jeu évite le syndrôme “God of ICantJump” et ses boutons à appuyer. Kena a du light platforming efficace complété par des puzzles environnementaux du même tonneau.
Forcément, on trouve bien quelques redites, comme cette corruption à enlever avec nos Rots en forme de serpent d’eau, un “puzzle” surexploité et barbant, cependant, le jeu fait très supérieurement le travail. Simpliste – comme le reste – mais très honnête. Un constat qui s’applique plus encore au système de combat et aux Boss – ces derniers étant quand même les grands absents du jeu de Santa Monica.
Kena : Bridge of Warriors
On aime assez la gestion de l’énergie, utilisable de façon défensive autant qu’offensive, et qui se régénère en infligeant des dégâts – en difficile (¾) tout du moins. Cela fonctionne particulièrement bien additionnée au système de vie de Kena. En fait, pour mourir, il faudra d’abord vider votre jauge de vie – classique – puis une fois celle-ci à sec, recevoir un coup fatal dans cette sorte d’état de la dernière chance. Ce qui compte alors ce n’est pas la valeur de l’instance de dégât, mais simplement est-ce qu’elle vous touche. Non seulement ça fait qu’on ne meurt jamais surpris par une attaque surprenamment puissante, mais ça va aussi offrir des petits moments de tension bienvenus.
En gros, à de nombreuses reprises, vous vous retrouverez au porte de la mort, mais obligé d’être agressif si vous voulez vous soigner. C’est plutôt malin, d’autant que le soin n’est pas une compétence, mais une sorte de fleur dans les arènes qui peut être activée à condition d’avoir assez d’énergie. Cela limite la survivabilité du joueur puisque au-delà de la gestion de son énergie, il a également un nombre de soins limités – souvent un ou deux. Il faut régler ses comptes rapidement dans Kena et ce n’est d’ailleurs pas le seul élément qui pousse à « enchaîner”.
À côté de ça, votre vie se recharge entre les combats, Kena Bridge of Spirits n’étant pas tant un exercice d’endurance qu’un jeu avec des pics d’intensité. En tout cas, nous on voit dans ces systèmes une belle réponse aux errements de God of War qui n’avait lui pas de récupération de vie, mais la remontait cependant automatiquement en cas de mort, créant des situations ubuesques où le meilleur moyen d’engager un affrontement était d’abord de mourir pour y revenir en pleine forme. Coup dur pour le studio californien.
Pour le reste, additionnez à cet astucieux système d’énergie et de soin, une parade permettant de regagner une portion d’énergie si effectué sur le bon timing – un classique “risks and rewards” – et vous obtenez un cocktail diablement efficace. Surtout en considérant l’ensemble des pièces, qui même pour les ajouts les plus tardifs, trouve moyen de toujours se faire une place dans le système de combat et particulièrement contre les Boss. Le dernier tronçon du jeu et son dash, s’avérant même être une belle réussite à ce sujet.
À la limite pourrait-on se plaindre de la mollesse de l’attaque de base, de certains ennemis « typiques » pas très intéressants ou encore de quelques affrontement jetables manquant de piments, mais très franchement, pour son genre, Kena s’avère déjà être une belle surprise du point de vue martial, à quelques reproches près tout de même.
Tomates, oignons, caméras
Parce qu’évidemment tout ne pouvait pas rouler droit dans ce monde de guingois, quelques mises au clair sont nécessaires dans cet océan d’optimisme. Déjà, Kena souffre de gros soucis de caméra. La première partie du problème est simplement la sensibilité ridiculement basse, même au maximum, on ne peut pas vraiment parler de vivacité. Le curseur de sélection ne monte pas assez haut. Un souci encore aggravé par l’oncle relou de la caméra : le lock. Sur certains bosses par exemple, ce n’est pas rare de voir celui-ci se casser sans trop d’explications, ou pire, bloquer la caméra dans le vide après une téléportation, ce qui oblige à rappuyer sur la touche de lock pour débloquer la caméra et aller chercher le Boss à la mano, avec, on le rappelle, toujours cette sensibilité d’asticot amorphe. Un mauvais point pour le jeu d’autant plus étonnant qu’il ne paraît pas des plus complexes à résoudre : il suffirait d’un curseur montant plus haut en sensibilité.
Ensuite, autre déconvenue, la rejouabilité du titre. Si comme nous, vous trouviez le ramassage de truc intempestif dans Kena, vous serez heureux d’apprendre que le jeu ne dispose d’aucun mode new game +. Vous obligeant donc à de nouveau fouiller les environnements tout en vous faisant repartir de zéro si vous voulez tester la difficulté maître débloquée une fois le jeu terminé… À vous donc les joies de devoir redébloquer des compétences qui auraient pourtant dû être dans le kit par défaut du personnage, au bas mot : les attaques après un sprint ou un saut et les avantages de parades.
On insiste sur la seconde exploration imposée, mais véritablement, c’était déjà en partie pénible la première fois. Kena cache mille fois les mêmes choses, tantôt substantielles, tantôt nécessaires, des Rots pour passer des niveaux par exemple, de façon à garnir à ras bord ses zones de jeu. Le level design et la structure rendent l’exploration agréable certes, mais jusqu’à un point où la quantité et le manque global de qualité dans les récompenses commencent à sérieusement ennuyer. Avait-on bien besoin de mille tonneaux et coffres distributeurs de monnaie à chapeau pour habiller les Rots ? N’est-ce pas “too much” ? Non seulement, la question se pose, mais elle s’impose même une fois considéré que cette progression n’est pas conservée entre les parties.
Feel it, it Kena
Malgré nos nombreux écueils avec le jeu, ne vous y trompez pas, Kena reste un titre sympathique, qui gâte le plaisir qu’il sait pourtant procurer, se limite également un peu avec sa gentille casquette “jeu d’aventure”, mais reste d’une belle maîtrise. C’est peut-être d’ailleurs là le meilleur mot que l’on pourrait accoler à Kena Bridge of Spirits : c’est un premier jeu maîtrisé en presque tous points. Si ce n’est un univers, visuel autant que narratif, très impersonnel et plan-plan, le titre capture une saveur PS2, jeu d’aventure à l’ancienne, que beaucoup seront sans doute ravis de retrouver.
Kena est comme Jedi Fallen Order finalement, creux mais d’une simplicité agréable. Fabriqué de “vibes” semblant en partie disparues à l’heure où d’autres préfèrent multiplier les projets vides et maquillés d’une complexité factice. Voilà, en fait Kena est une Danette : c’est pas ouf ouf, mais en vrai, ça passe bien, c’est un mets rassurant.