Il aura fallu attendre quasiment cinquante ans pour que Le Métro de la mort, réalisé par Gary Sherman en 1972, connaisse une réédition en DVD et Blu Ray grâce à Rimini Éditions en 2021. Le film projette le spectateur aurpès d’un enquêteur – Calhoun – et prend place dans les entrailles du métro Londonien dans lequel une série de disparitions vient d’avoir lieu…
Ancré dans les années 1970, l’ouverture du Métro de la mort se fait de manière pop et musicale. Les sonorités synth waves et les néons défilent et dévoilent le décor en surface d’un Londres vivant et chargé. À l’image d’une fourmilière d’humains, ils parcourent les rues bondées et bruyantes du monde moderne, un univers en total opposition avec le second, présenté littéralement comme underground.
Gary Sherman propose alors deux univers visuels complètement différents. L’un avec d’une part des décors grisâtres éclairés par des plafonniers aux lumières blanchâtres ; et de l’autre, des magasins éclairés par des néons. Malgré une certaine froideur, l’univers demeure palpable, reconnaissable et rassurant. Son réalisme permet au spectateur d’y trouver ses repères du quotidien, ce qui n’est plus du tout le cas pour l’autre monde, celui enterré sous nos pieds. Ce monde, underground, se caractérise tout d’abord par une texture d’image rouillée, orangée et fortement contrastée. On découvre une mise en scène en totale opposition avec le premier monde qui nous est présenté avec notamment une caméra beaucoup plus libre et contemplative. La photographie n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle d’œuvres d’arts de tableaux du moyen-âge. On découvre par exemple des montagnes d’ossements ensevelis, des scénettes éclairées avec des lampes à huile, le tout donnant une image complètement dépassée, daté d’un autre temps.
Un triptyque de trois générations
L’intrigue nous projette auprès d’un enquêteur – incarné par Donald Pleasence – et d’un couple de deux étudiants. L’enjeu majeur du Métro de la mort est de retrouver une personne disparue et cette intrigue est bel et bien celle donnée… en surface. En effet, les personnages découvrent par la suite que le métro a été construit sur des galeries qui se sont effondrées. Les ouvriers, laissés pour morts, n’ont apparemment jamais été retrouvés. Il s’avère finalement qu’une société à continuer d’évoluer sous terre, une société figée dans un monde quasi primitif. Dès lors, Gary Sherman semble proposer une véritable réflexion sur le monde et ses différentes temporalités : le passé, le présent et le futur.
Le passé est incarné par un personnage déphasé de notre réalité et ancré dans une période quasi préhistorique. “L’homme” – incarné par Hugh Armstrong – est par exemple démuni de la parole. Présenté comme le dernier homme de sa tribu sous-terraine, il vient de perdre l’amour de sa vie, sa compagne, qui portait leur enfant. Désespéré, seuls ses cris d’agonie viennent exprimer sa tristesse, sa solitude et son déchirement. La caméra nous dresse le portrait de ce personnage avec une certaine intimité, une proximité, mais également avec beaucoup de respect, de non jugement, avec également une caméra qui prend ses distances lorsque les émotions prennent le dessus par exemple.
Cette humanité, caractérisée par ces émotions, on la retrouve également dans le personnage de l’étudiante, incarnée par Sharon Gurney. En effet, c’est son personnage qui viendra déclencher l’intrigue par exemple, soucieuse d’un personnage évanoui dans le métro. On y voit une véritable inquiétude pour autrui, personnage qui ne cesse de se préoccuper du monde qui l’entoure. De ce fait, elle pourrait incarner une certaine nouvelle génération, et pourrait donc représenter le futur d’une certaine manière.
Tandis que ces deux groupes de personnages ont tendance à être mis en scène assez “simplement”, avec une caméra qui nous témoigne d’une certaine vision du monde au travers d’eux, celle-ci n’hésite en revanche pas à juger Calhoun, l’inspecteur de l’enquête. Celui-ci pourrait représenter la génération actuelle, complètement insouciante et dépassée par le monde qui l’entoure. On nous présente un personnage maladroit, nombriliste, un british qui ne pense à rien d’autre que sa tasse de thé quotidienne qu’il ne cesse de rappeler à son assistante. Présenté comme le personnage principal, il n’a pourtant aucune valeur héroïque. Calhoun est un beau parleur, maladroit, égoïste, de mauvaise foi, mais surtout : il n’en a aucunement conscience. Dans Le métro de la mort, Gary Sherman n’hésite pas à le filmer en très forte plongée, comme si la caméra avait tendance à le juger, tandis que celle-ci reste en permanence à la hauteur des autres personnages, beaucoup plus humbles et humains.
Un film actuel
Cette analyse de personnages – bien que passionnante lorsqu’on les compare – esquisse tout de même un petit bémol au film, son absence de héros. On constate une identification aux protagonistes plutôt compliquée, un scénario un peu léger également, et un ton qui peut être compliqué à aborder, notamment par son esprit quasi parodique à certains moments.
Le métro de la mort est en revanche très riche sur de nombreux aspects, graphiquement notamment. On notera un véritable travail de décor et de maquillage, avec par exemple le garde-manger du peuple souterrain. Présenté au travers d’un plan-séquence de six minutes, on découvre une cave remplie de membres coupés et de visage déformés et ensanglantés d’une violence passée en hors-champ. On notera également l’effort apporté à cette notion, avec une toute une première partie de film qui annonce ce monde underground par le hors-champ et par le travail du son. Le film installera à plusieurs reprises des éléments sonores et c’est eux qui guideront la caméra pour venir les révéler par la suite. On constate donc de véritables intentions de mise en scène au service d’une œuvre riche, malgré une approche moins divertissante à laquelle on peut être habitué. Gary Sherman semble préférer abandonner le pathos et la notion de drame, pour plutôt dresser le portrait de notre société sur trois générations, et bizarrement, celui-ci ne semble pas avoir pris une ride…
Méconnu du grand public, Le métro de la mort installe pourtant de nombreuses clés qui inspireront certains des plus grands classiques des films de genre. On pense notamment à Massacre à la tronçonneuse (1974), réalisé par Tobe Hooper ; ou encore à La colline a des yeux (1979), réalisé par Wes Craven. Le film peut valoir le coup d’œil, surtout pour les passionnés du film de genre.
Le Métro de la mort est disponible en édition collector limitée, combo Blu-ray DVD au chez Rimini Éditions.
Gaëtan Jeanson