Wild Side et Warner Bros proposent de redécouvrir le Joker de Todd Phillips chez vous, histoire d’apprécier jusqu’à la dernière miette de cette révolution cinématographique.
Arthur Fleck s’enfonce dans la folie jusqu’à devenir le Joker. Le plus célèbre vilain de DC Comics a toujours fasciné par son manichéisme face à un Batman omniprésent. Le film de Todd Phillips ose s’aventurer dans la psyché du clown, sans la présence (ou presque) du Dark Knight. Un pari risqué mais incroyablement réussi, même si on observe quelques réserves sur la légitimité du personnage.
Après avoir été incarné par Cesar Romero, Jack Nicholson, Heath Ledger et même doublé par Mark Hamill ou Alan Tudyk, c’est au tour de l’immense Joaquin Phoenix de prêter ses traits torturés au plus emblématiques des méchants de Batman. L’occasion pour l’acteur de remporter l’Oscar ou le Golden Globe et au film de repartir avec le Lion d’Or à Venise. Une première pour un film de super-héros qui sort ici du cahier des charges standard de ce type d’adaptations, à mi-chemin entre la trilogie de Nolan et un film de gangsters scorsesien. Un vrai drame, poignant et réaliste, noir et magistral, réalisé par le papa des Very Bad Trip, Todd Phillips. Prêt à en découdre avec l’atermoiement de DC Comics au cinéma en revenant au film de genre, lui qui côtoyait pourtant les comédies populaires, fait appel à Martin Scorsese à la production et De Niro devant la caméra, le projet fou prend vie. Et c’est un euphémisme.
Renaissance
A l’aide d’une réalisation extrêmement académique composée de lents travelings, plans fixes et close-up intrusifs, Phillips plonge dans une Gotham City en 1980, crasseuse et bouillonnante où les buildings finissent d’enterrer les pauvres bougres au fond des rues malfamées. Un décor lourd de sens pour servir un propos social, révolutionnaire. Son Joker se désarticule devant les inégalités sociales, les préjugés et un climat politique tendu. Une aubaine pour une mise en scène lancinante, pesante, presque claustrophobique, à l’image verte, hallucinée mais tétanisée par la musique folle de Hildur Guðnadóttir qui soutient parfaitement le sombre regard de Joaquin Phoenix, qui dévore littéralement la caméra.
Si le premier tiers du long-métrage place les enjeux et les éléments narratifs susceptibles de pousser le protagoniste vers une folie inéluctable, le rythme peine cependant à convaincre. Etiré, long et empreint d’un misérabilisme latent, ce n’est qu’avec les premiers meurtres du Joker que l’on tombe dans une spirale sanglante. Avec elle la violence psychologique laisse la place à celle physique, imagée par le costume rouge du Joker en devenir, enfin maître de sa propre folie.
Pourtant, si cette origin story s’inspire clairement du fameux Killing Joke de Alan Moore ou de l’Homme qui rit de Ed Brubaker, Todd Phillips et Scott Silver accouchent d’une intrigue originale. Et en cela réside le paradoxe du film qui propose un Joker bien loin de celui qu’on aime détester. Parce que le Clown prince du crime est un psychopathe anarchiste, un génie du crime, on peine à le retrouver dans le portrait chorégraphié qu’en fait Joaquin Phoenix, triste et pitoyable. L’empathie générée par le film nous pousse à comprendre les motivations du personnage, à adhérer à sa lutte contre l’oppression, à le prendre en pitié. Le protagoniste de Todd Phillips devient donc plus un anti-héros qu’un véritable méchant. Simplet, naïf, manipulable, Arthur Fleck n’est que l’ombre du Joker, loin d’être en mesure d’opposer une quelconque résistance à un Batman hypothétique et dont il devrait pourtant en être le parfait reflet inversé.
Peut-être que le véritable Joker réside dans les égarements qui nous sont offerts ici et là par les circonvolutions de la psyché d’un personnage traumatisé. Un faux semblant narratif pour nous induire en erreur et bel et bien nous placer en face d’un génie criminel qui s’ignore, ou nous manipule. Quoiqu’il en soit, Todd Phillips aura réussi un exploit, celui de faire un film de super-héros brutal, racé, noir, psychologique et superbement paradoxal.