Après le mastodonte qu’était Mad Max Fury Road, George Miller revient avec un film de plus petite ampleur, mais avec toujours autant d’inventivité. Trois Mille Ans à t’attendre (Three Thousand Years of Longing) a été présenté au Festival de Cannes 2022 dans la section Hors Compétition, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce conte mêlant romantisme et mythologie est d’office un des métrages les plus originaux de l’année !
Trois Mille Ans à t’attendre pourrait presque être le sentiment éprouvé devant la patience requise pour de nouveau se délecter d’un film de George Miller. En effet, le cinéaste australien était revenu en 2015 avec le maelstrom complètement virtuose Mad Max Fury Road. Et avant de retrouver Furiosa, le cinéaste a présenté au Festival de Cannes son nouveau film, à l’ambition moindre mais étant complètement dans la mouvance et les thématiques de son auteur.
La puissance des mythes
En effet, de Mad Max à Happy Feet en passant par Babe, Miller s’est toujours intéressé à la puissance évocatrice des mythes et autres histoires vectrices de sens pour une humanité en perpétuelle questionnement ou recherche de but. Ce fut également le cas dans son chef-d’œuvre méconnu Lorenzo, un fait réel déchirant traité comme une odyssée humaine et mythologique. Avec Trois Mille Ans à t’attendre, Miller s’attelle à un terreau créatif embrassant à bras le corps la notion même de mythe en puisant dans les contes des Mille et Une Nuits.
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Ou plus exactement « Le Djinn dans l’œil-de-rossignol » par le britannique A.S Byatt, que George Miller souhaite adapter depuis les années 90. Plus de 25 ans plus tard et épaulé de sa fille au scénario, le réalisateur accouche (selon ses termes) d’un « anti-Mad Max ». Et en voyant le métrage d’1h40, cette phrase fait sens tant il s’agit d’un sacré départ en terme de ton ou de rythme. Et pourtant, Trois Mille Ans à t’attendre demeure une proposition de cinéma terriblement réjouissante et jubilatoire, transpirant le savoir-faire de son metteur en scène !
Il était une fois un Djinn
Trois Mille Ans à t’attendre nous présente Alithea Binnie (Tilda Swinton), une narratologue globe-trotteuse et solitaire se réfugiant dans ses lectures pour tenter de comprendre comment les mythologies façonnent notre compréhension du monde. Lors d’un voyage à Istanbul, Alithea va tomber sur une étrange fiole, et libérera un Djinn (Idris Elba) lui accordant 3 vœux. Refusant initialement (sous prétexte que cela débouchera forcément sur un effet néfaste), le Djinn va donc lui raconter sa propre histoire, et comment il s’est retrouvé enfermé pendant trois mille ans.
Ainsi, Trois Mille Ans à t’attendre prend des airs de film plus intimiste et resserré, sous la forme d’une grande discussion entre ces deux protagonistes. Reposant avant tout sur le verbe, le film est par ailleurs extrêmement érudit et bien écrit, tandis que nous buvons avec délectation les paroles des acteurs. Des joutes verbales et un aspect de simili huis-clos (une grande partie du récit se déroule dans une chambre d’hôtel) qui sera court-circuité par les 3 récits racontés par le Djinn, prenant place à des époques totalement inédites dans un Moyen-Orient convoquant la Reine de Sabbah et Salomon, une forteresse de l’empire ottoman, sultans, guerres greco-perses, métamorphoses et autres joyeusetés folkloriques.
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Antithèse filmique de Mad Max Fury Road, Trois Mille Ans à t’attendre se veut avant tout un film de mots, loin de la fureur de son précédent film (ou même de sa bande-annonce mensongère). Un rythme de croisière s’installe donc au gré de ses 4 récits parallèles, faisant office de contes pourvoyeurs de sens dans leur conclusion. Pour autant, le film demeure extrêmement inventif, via une mise en scène recherchée, un montage travaillé et le travail chatoyant de John Seale (chef opérateur de Fury Road, Harry Potter à l’école des sorciers ou Lorenzo).
Mon Djinn bien-aimé
Les couleurs chaudes envahissent chaque cadre, que ce soit dans un décor londonien, une cour peuplée de créatures en tout genre, un couloir où une tête se change en araignée ou bien le harem dégoulinant d’un jeune sultan : Trois Mille Ans à t’attendre côtoie le beau et le laid, avec même un certain goût anar pour le grotesque. Ainsi, l’exubérance qui se dégage à intervalles réguliers finit de conférer au métrage une vraie identité, sorte de croisement entre un récit tribal que George Miller nous conte au coin du feu et florilège d’influences des 1001 Nuits.
On regrettera par instants quelques effets visuels un peu trop voyants (comme l’apparition d’un Idris Elba géant dans la chambre d’Alithea), sans doute liés à un budget limité (60 millions de dollars) offrant quelques barrières au débordement imaginatif du film. Néanmoins, la caméra de George Miller suffit à créer une sidération et une sollicitation de chaque instant (il faut voir avec quelle aisance il parvient à en dire autant que ses personnages par un simple placement de caméra), portée par le principal duo d’acteurs.
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Outre sa réflexion sur le pouvoir mythologique des histoires, la relation entre Alithea et le Djinn est porteuse de tout le sens profond qu’insuffle George à son récit. Alors que Tilda Swinton est de nouveau formidable en âme perdue cherchant un sens à l’existence, et qu’Idris Elba inonde une fois de plus l’écran de son aura charismatique, Trois Mille Ans à t’attendre nous abreuve d’une vraie belle romance de cinéma, alors que ces trois contes laissent ensuite place à une recherche quasi-métaphysique du pourquoi nous nous racontons des histoires.
Trois Mille Ans à t’attendre ou le petit coup de génie de George Miller
Entre Alithea qui tente de décrypter la substantifique moelle des émotions ou le Djinn en quête d’un bonheur devant peut-être passer par la mortalité, Trois Mille Ans à t’attendre se veut in fine une touchante réflexion sur la condition humaine. Et il suffira d’un très beau thème musical ethnique par Junkie XL (Zack Snyder’s Justice League, Alita Battle Angel) pour y apposer un vrai romantisme (voire même romanesque) dans une trame qui a parfois un goût de trop peu (on en redemanderait bien une heure), via une conclusion rapidement amenée, faisant également penser à un chef-d’œuvre du cinéaste Guillermo Del Toro. Mais malgré une certaine baisse de rythme par instants et son caractère plus érudit que viscéral, Trois Mille Ans à t’attendre est une belle fable humaniste autant qu’une vraie ballade poétique et un très bon film de genre au romantisme surprenant !
Trois Mille Ans à t’attendre sortira au cinéma le 24 août 2022
avis
Avec Trois Mille Ans à t'attendre, George Miller appose une nouvelle pierre à son édifice cinématographique sur le pouvoir mythologique des histoires, tout en proposant une fable érudite et intellectuellement stimulante. Sous ses airs de faux film intimiste, le cinéaste australien nous abreuve d'un des films les plus surprenants et réjouissants de l'année. Une proposition hybride et singulière, qui malgré quelques légères imperfections, demeure une des œuvres les plus stimulantes du Festival de Cannes 2022. De plus, sa séquence finale, en plus d'être le vrai cœur du métrage, pourra être sujette à de passionnants débats sur la nature de ce nouveau récit audacieux.