The Card Counter débarque chez nous pour clôturer 2021 ! Ce nouveau long-métrage de Paul Schrader se révèle dans la droite lignée thématique qui anime l’ensemble de sa filmo : les démons du passé de l’Amérique ! Si la formule manque un brin de polish, le tout est porté par une impressionnante performance d’Oscar Isaac !
Depuis le temps on le connait Paul Schrader : connu comme scénariste de renom (il a bossé avec Scorsese sur Taxi Driver, Raging Bull ou encore La Dernière Tentation du Christ), ce dernier passe également régulièrement derrière la caméra, pour des résultats divers et variés. Dès les errements de Travis Bickle (vétéran du Vietnam et en pleine descente aux enfers), ou encore ses propres films comme American Gigolo (Richard Gere se prostituant) ou Hardcore (l’histoire d’un père décidé à extirper sa fille du milieu porno), Schrader a un goût pour les marches plus ou moins funèbres d’âmes égarées vers un chemin de rédemption.
Cela tombe bien, c’est également le titre de son plus grand film : l’excellent Sur le chemin de la rédemption (First Reformed en VO), véritable synthèse de tout ce qui l’anime, à savoir la noirceur de l’âme et d’une Amérique s’étant construite dans le sang et le péché. Avec The Card Counter, Schrader trouve le moyen d’apposer une nouvelle brique à cet édifice thématique déjà connu, en s’attaquant notamment aux dérives de la Guerre en Irak ! Un exercice pertinent, bien que relativement attendu.
The Card Counter nous présente via la voix-off d’Oscar Isaac (narrateur et protagoniste) au personnage de William Tell. Ex-militaire ayant notamment servi à Abu Ghraib, ce dernier sort tout juste d’une réclusion de 8 années en prison pour avoir commis divers actes de torture en Irak, sous les ordres d’un certain Major John Gordo. Pris de passion pour les cartes, William arpente désormais les casinos par goût du jeu. C’est alors qu’il fera la rencontre du jeune Cirk, le fils d’un de ses ex-collègues militaires, lui proposant une association pour le moins douteuse : à savoir capturer, torturer et assassiner Gordo, désormais reconverti en fournisseur de systèmes de sécurité.
Un pitch accrocheur, mais le film désamorce immédiatement toute velléité possible de revenge-movie hardboiled, alors que William préfère prendre le jeune Cirk sous son aile, et lui donner goût au jeu alors qu’ils vont sillonner Las Vegas en vue d’une compétition de poker. Aidée par une sponsor nommée La Linda (Tiffany Haddish), le but sera d’effacer les dettes de Cirk, et de gagner suffisamment pour que William prenne sa retraite. Un joli projet, quelque peu parasité par les démons du passé.
L’Oscar Isaac
The Card Counter a tous les ingrédients qu’il faut pour créer une un portrait psychologique passionnant et prenant de son protagoniste, en plus d’une réflexion désenchantée sur l’Amérique. Et il y a évidemment de cela dans le film, avec en premier lieu un Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis, Dune) absolument impressionnant dans le rôle principal. Intense et régulièrement habité, il porte tout le film à lui seul en incarnant cet individu traumatisé par ses actions, vivant dans des motels (il drape chaque meuble de blanc comme pour ne plus rien salir de ses propres mains) tel un moine. Pas d’attaches, pas de vie, si ce n’est une rédemption par les simples activités qu’il maîtrise désormais : le poker et le black-jack.
On tient là un personnage plutôt fascinant, et encore une fois des plus plaisants à voir évoluer rien que par le talent de son interprète. Le reste du casting (outre un Willem Dafoe présent sporadiquement) est de bonne facture, avec un Tye Sheridan (Mud, Ready Player One) utilisé adéquatement : Cirk est comme une âme à sauver pour William, ayant lui aussi été tenté par le chemin aisé de la violence. Via la volonté de lui montrer son mode de vie rédempteur, cette relation propose par ailleurs les meilleures séquences du film, confrontant le jeune acolyte et le spectateur aux tréfonds post-traumatiques du protagoniste.
Schrader n’est jamais meilleur qu’à ce jeu (trouvant là encore une sombre catharsis dans le final), mais oublie assez régulièrement à instaurer de l’enjeu autre dans The Card Counter. En effet, sur les 2h de métrage, le gros de l’intrigue se concentre sur les diverses pérégrinations du trio de casino en casino, nous abreuvant de plusieurs séquences de black-jack. Passées les explications (simples mais dotées d’un didactisme assez peu cinématographique) initiales, ces divers moments peinent à captiver, engoncées dans un scénario opérant des virages assez programmatiques. Pas grand chose vient gribouiller la feuille de route établie et un tant soit peu renouveler la narration (l’utilisation régulière de Mr USA estsans doute l’allégorie la plus on-the-nose) . Quelques passages sentent légèrement le pré-fabriqué, afin d’amener le métrage vers ce qui intéresse réellement Schrader.
Et à ce titre, si l’environnement des casinos transpire le luxe et la vacuité en même temps (comme si le symbole capitaliste n’était en réalité qu’un purgatoire pour le personnage), c’est réellement lorsque The Card Counter embrasse à bras le corps les émotions et la souffrance sourde qu’il parvient à pleinement convaincre. Outre une ballade romantique toute en non-dit dans un superbe décor illuminé, Schrader saisit réellement le spectateur en confrontant son récit fictionnel à la dureté de la réalité, via notamment des images d’archive semblant tout droit sortir d’un Guantanamo ! Si le film n’est pas nécessairement rentre-dans-le-lard ni graphique, tout ce qui concerne les allusions à diverses formes de torture sont là, en particulier lors de séquences flash-back (un brin cheap il est vrai vu le faible budget) usant avec efficacité de lentilles anamorphiques afin de créer un vrai sentiment de malaise.
Bas les cartes
Si l’intrigue patine au milieu, méritait sans doute un ptit coup de polish pour resserrer son récit et le rendre plus impactant, Schrader le conclue avec efficience et sens. D’aucun connaître l’œuvre du bonhomme ne sera cependant point surpris par la finalité ni le propos global, mais le tout se révèle cohérent, avec par ailleurs un touchant plan final. Car là est bien le force de The Card Counter, pas parfait certes, mais doté de bonnes idées portant leur fruit. On saluera également une Tiffany Haddish charismatique et à contre-emploi de ses rôles comiques habituels, bien que légèrement sous-utilisée en tant que personnage.
En résulte un film intéressant et captivant par la performance d’Oscar Isaac, bien mis en scène malgré son peu de moyens (la photographie télévisuelle est réhaussée par le reste de la fabrication), et régulièrement prenant malgré ses lieux communs et son script parfois programmatique. Un soupçon de dramaturgie supplémentaire dans le déroulé n’aurait pas été de refus afin d’en décupler l’impact, mais malgré ces défauts, The Card Counter est une nouvelle exploration pertinente d’une Amérique aux fondations noires comme le pétrole.