Tango y tango est un spectacle joué, dansé et chanté qui fait se rencontrer les corps, les histoires et les époques dans une milonga de Buenos Aires.
Jeanne, une jeune française dont le père était argentin, décide de se rendre à Buenos Aires pour essayer de comprendre le tango. Elle y fait la rencontre de Juan, un homme plus âgé, que la vie et la passion du tango semblent avoir abandonné tandis qu’il continue pourtant à hanter les lieux emprunts de vie et d’Histoire d’une vieille milonga.
Le romancier, scénariste et réalisateur Santiago Amigorena nous promène entre passé et présent, français et espagnol, moderne et ancien, pour nous raconter une Argentine entre rêve et désillusion, pour célébrer l’espoir et la renaissance, pour exalter le tango. Mais si ce spectacle avait de quoi nous régaler, nous sommes pourtant restés sur notre faim…
Un bijou d’esthétisme
De part et d’autre d’un long rideau de fils s’étirant sur une grande scène, un couple de danseurs se livre à un tango délicieusement sensuel. Ils traversent parfois les images qui défilent sur le rideau comme on traverserait le temps, les époques, l’histoire… Une entrée en matière captivante dans un spectacle qui promet lui aussi de faire se rejoindre tout ce qui s’oppose.
Puis, une dizaine d’autres artistes investissent cet espace transformé pour l’occasion en une milonga poussiéreuse de Buenos Aires grâce à la superbe scénographie d’Alban Ho Van. Les différents espaces scéniques que sont le parquet de bal, le coin bistrot, ou encore le balcon où apparaissent les musiciens prennent alors vie à travers la mise en scène fluide et harmonieuse de Marcial Di Fonzo Bo.
Effets de miroirs, jeux de rideaux, projections et superpositions de scènes en transparence créent un effet de profondeur et une impression de réalisme saisissants. Ce qui se déroule sur scène et les images projetées de Nicolas Mesdom coexistent ainsi parfois avec beaucoup d’intelligence. On jurerait, lors d’une scène où l’atmosphère se teinte de gris que, depuis l’intérieur du lieu où nous nous trouvons, nous pouvons voir la vie se dérouler de l’autre côté de ces portes vitrées qui ne sont en réalité qu’un espace de projection. C’est brillant !
Le tango pour dire la tristesse du monde ?
Quand Juan raconte à Jeanne sa rencontre avec le tango, c’est d’un envoûtement qu’il parle. Sur le rideau de fils qui se redéploie de temps à autre, des vidéos de son enfance défilent. Certaines viennent témoigner de la dictature des années 70 et de sa répression dans une Argentine fragilisée. Parfois, la voix puissante de Cristina Villalonga, accompagnée par les musiciens, évoque des souvenirs douloureux.
De successions de pas endiablés en mouvements de jambes vertigineux, le tango exprime la tristesse mais aussi la joie. Il est la peur, la colère, la mélancolie, la pudeur, la sensualité, l’érotisme… Il est la vie dans son expression la plus fiévreuse. Le tango pour faire se rejoindre le passé et le présent, pour faire naître et s’embraser les passions, pour faire se rencontrer les corps…
Tiens, les corps, parlons-en… Dans les moments où la danse s’impose sur les musiques originales de Philippe Cohen Solal (co-fondateur du célèbre Gotan Project), dans les costumes superbes et étincelants de Pierre Canitrot, et sur la chorégraphie merveilleuse de Matias Tripodi, ils s’étirent, transpercent l’air, tournoient, ondulent, se cambrent, se déploient avec une grâce tout simplement hypnotique. Des moments que nous aurions toutefois aimés plus nombreux…
Un propos qui manque d’épaisseur
Ce qui nous amène aux quelques faiblesses de ce spectacle prometteur, qui nous a semblé ne pas aller au bout de ses ambitions. En effet, si le tango aurait mérité davantage de place, la petite comme la grande histoire sont quant à elles à peine effleurées. Si bien qu’elles en deviennent anecdotiques et ne nous permettent pas de nous attacher à cet homme, incarné par Julio Zurita, ni d’être sensible à son histoire dont le récit tout en désillusion parvient difficilement à structurer l’ensemble.
Et si Rebecca Marder a quant à elle su nous charmer dans le rôle de la jeune française candide, fraîchement débarquée à Buenos Aires, les quelques chansons qu’interprète l’ex-pensionnaire de la Comédie-Française à l’affiche du dernier Ozon, Mon crime, nous ont moins convaincus et ne parviennent pas à donner de la densité à son personnage. Finalement, il y a beaucoup de choses qui s’entremêlent dans ce Tango y tango. Peut-être trop pour un spectacle d’à peine plus d’une heure.
C’est néanmoins un très joli moment que l’on passe. Et l’on y reviendrait bien volontiers, ne serait-ce que pour toute la beauté qui s’en dégage.
Tango y tango, de Santiago Amigorena, mise en scène Marcial Di Fonzo Bo, avec Rebecca Marder, Cristina Vilallonga, Rodolfo de Souza, Julio Zurita, Mauro Caiazza, Maria-Sara Richter, Sabrina Amuchástegui, Fernando Andrés Rodríguez, Estefanía Belén, Aurélie Gallois (au violon) & Victor Villena (au bandonéon), se joue du 10 au 27 mai 2023 au Théâtre du Rond-Point.
Avis
Il y a tout ce qu'il faut dans ce spectacle hybride pour que le charme opère et, sur le papier, il y avait tous les ingrédients pour un coup de cœur. Mais, si la forme, à l'esthétique très travaillée, nous captive d'un bout à l'autre, on reprochera en revanche au fond de rester un peu trop en surface...