Sermons de Minuit (Midnight Mass en VO) est la nouvelle création de Mike Flanagan (The Haunting of Hill House) pour Netflix. Projet 100% original qu’il mûrit depuis une décennie, le Stephen King du petit écran livre à la fois son meilleur boulot, un des projets les plus réjouissants de l’année, et son chef-d’œuvre tout simplement.
Mike Flanagan aura su tranquillement gravir les échelons. Débutant sur des petites productions à high concept comme Hush (home invasion chez une héroïne sourde), Before I Wake (cauchemars devenant réels) ou le très bon Jessie (adapté d’une nouvelle de King), c’est avec la superbe The Haunting of Hill House que le réalisateur ce sera imposé comme un cinéaste héritier de Stephen King. Parvenant admirablement à réutiliser les codes galvaudés du film de fantômes, Flanagan parvenait à créer un drame humain bouleversant sur la notion de deuil et de traumas familiaux. Après un interlude vers le cinéma avec un Doctor Sleep intéressant (mais prisonnier de son récit de base) et le pilote de The Haunting of Bly Manor, le voilà de retour aux grandes affaires avec Sermons de Minuit !
Midnight Mass (car oui on va alterner entre les 2 titres) débute comme toute histoire fantastico-horrifique qui se respecte : via un drame terrible ! Notre héros, Riley Flynn, a provoqué la mort d’une jeune femme dans un accident de voiture alors qu’il était alcoolisé. Écopant d’une peine de 4 ans de prison et ayant tout perdu, il décide de retrouver sa famille sur le lieu de son enfance : Crockett Island ! Cette île isolée comptant une population de 127 personnes a subi une crise économique importante du fait d’une marée noire, empêchant de faire du profit grâce à la pêche. Pas nécessairement la destination de rêve, où seuls 2 ferries passent quotidiennement pour accéder à l’île. Un décor tout droit sorti de l’imagination de l’écrivain originaire du Maine donc.
Alors que le catholicisme est avidement pratiqué par l’ensemble des habitants, un nouveau prêtre débarque. Qui est-il et d’où vient-il ? De plus, le Père Pruitt est apparemment en convalescence sur le continent suite à un voyage à Jérusalem. Riley quand à lui tentera de faire face au regard des autres habitants dès lors qu’il a perdu la foi, tandis que de curieux évènements vont se produire. Miracles divins ou présages bien plus sombres ? Ce sera donc le début d’une histoire aux multiples surprises et aux enjeux vertigineux, qui changera la vie des habitants de Crockett Island à tout jamais !
Aux âmes rédemptrices
C’était déjà un ingrédient phare de The Haunting of Hill House, et c’est également le cas dans Sermons de Minuit : chaque personnage se veut fouillé et complexe, avec leur lot de trauma porté en bagage. Que ce soit Riley, en individu brisé et sans but (très proche du James Sutherland de Silent Hill 2), Erin (Kate Siegel toujours aussi impeccable) dont la volonté d’aller de l’avant se cristallise dans sa maternité future, le shériff Hassan (Rahul Kohli qui trouve après Bly Manor un nouveau rôle sur mesure) lutte contre les préjugés raciaux auxquels il a fait face au sein de la police tandis que son fils est tiraillé entre son héritage et son individualité…
Chaque acteur de premier plan (Zack Gilford maitrise à merveille le caractère renfermé de son personnage pour en laisser ressurgir l’émotion) ou plus périphérique (Annabeth Gish, Henry Thomas) inonde l’écran de son talent. Néanmoins, Hamish Linklater (Fargo, Legion) est clairement celui qui se démarque en prêtre aux motivations obscures et dont la dualité interne offre une complexité rare à son personnage. Clairement sur orbite via un talent indéniable, on est jamais dans la caricature du prédicateur hystérico-schizophrène, mais dans celui d’un humain en plein pacte avec le diable. Enfin, Samantha Sloyan impressionne en révérante fanatique complètement (et délicieusement) détestable. Des personnages aux antipodes en terme de caractère, se retrouvant contraints à vivre ensemble pour mieux se confronter à leurs propres maux, ainsi qu’aux convictions de chacun !
Il faudra par ailleurs saluer la qualité d’écriture globale, en particulier des dialogues ! Que ce soit un bouleversant dialogue entre Riley et Erin concernant leur point de vue sur la mort, ou bien une déchirante scène de pardon entre 2 individus, Midnight Mass tape juste et extrêmement fort. Flanagan n’a jamais été autant maître de ses mots, et arrive en 7 épisodes incroyablement denses à brasser tout un tas de thématiques pertinentes, que ce soit évidemment le deuil, la rédemption, le sacrifice, la notion de foi ainsi que ses travers et ses multiples interprétations.
Un des gros plaisirs de Sermons de Minuit est justement dans la découverte des (nombreuses) surprises que réserve l’intrigue. Sans aller dans le spoiler, il y a un peu de Shyamalan des débuts, un peu de Lost et The Leftovers, beaucoup de Salem’s Lot et Revival de Stephen King…mais on tient là une œuvre 100% audacieuse et singulière dans son questionnement et sa réinterprétation de mythe fondateur pour aller dans la série de genre. On l’aura prévenu, difficile de décrocher dès le tout premier cliffhanger !
Beauté mortelle
Renouvelant sa collaboration avec son chef opérateur Michael Fimognari, Flanagan livre une mise en scène ample sans être dans l’esthétisation figée ou outrancière. Au contraire, via des travelings succincts ou autres plans-séquences sublimés par les teintes douceâtres de la photographie, on est au plus près des personnages et de la mélancolie ambiante. Une réalisation maîtrisée au service de l’histoire, et qui malgré son lot d’images chocs ou violentes (les deux derniers épisodes sont clairement un climax furieux), arrive avant tout à nous émouvoir rien que par la délicatesse avec laquelle il sonde l’âme de ces protagonistes.
On pourra évidemment parler du très bon travail des frères Newton à la BO, proposant une musique atmosphérique ainsi qu’une utilisation impeccable de chants catholiques avec une efficacité implacable (on retiendra longtemps les séquences sous les airs angéliques de Holy God We Praise Thy Name ou Nearer My God to Thee).
Nous pourrions aborder Sermons de Minuit sur plusieurs paragraphes encore, mais la chose la plus importante à savoir est qu’il s’agit ni plus ni moins qu’une des meilleures choses que vous verrez sur le petit écran cette année. Un chef-d’œuvre d’émotion qui réserve son lot de moments déchirants (et dont la fin reste longtemps en mémoire après le visionnage) et une leçon de mariage de genre au sein d’une œuvre fantastique. Une brillante réflexion sur la nature du mal, sur nos questionnements les plus primaires, sur nos peurs et nos traumas. Un fabuleux conte noir nous rappelant que la lumière est toujours là, quelque part !