Il est exceptionnel qu’un wu xia pian débarque dans nos salles, et pourtant Sakra arrive enfin dans les cinémas de l’Hexagone ! Réalisé par le célèbre Donnie Yen, ce récit oscillant entre histoire et légende bénéficie de combats d’exception, malheureusement entaché par une trame narrative boursouflée.
Mis à part quelques exceptions signées Zhang Yimou, le wu xia pian (genre cinématographique chinois que l’on pourrait assimiler au « cape et d’épée » européen ou le western américain) a subi un rétro-pédalage dans le rythme des sorties. Il est donc plutôt réjouissant de voir un film d’époque empli d’arts martiaux de nouveau en salle (le dernier étant The Grandmaster de Wong Kar-wai il y a 10 ans).
Sakra : profession de foi pour Donnie Yan
Et pour adapter Sakra (un classique de la littérature folklorique chinoise), ce n’est plus ni moins que le dernier grand représentant martial du genre qui s’attelle à la réalisation : Donnie Yen (Ip Man, Rogue One, John Wick Chapitre 4) ! Cela tombe bien, c’est également lui qui incarne le personnage principal de Qiao Feng.
Sakra prend donc place en Chine, au Xe siècle, tandis que 2 clans s’affrontent : la dynastie royale des Song, et le peuple guerrier Khitan. C’est ainsi que nous découvrons Qiao Feng, redoutable chef du clan Gaibang, une bande sans foi ni loi. Recueilli depuis le plus jeune âge suite au meurtre de ses parents Khitan, Qiao Feng va se retrouver exclus du clan après qu’il ait été accusé à tort de divers meurtres, mettant en lumière ses vraies origines.
Comme dans la tradition du wu xia pian, Qiao Feng va se retrouver dans la position du chevalier errant, sur les traces du responsable de la mort de ses parents. Sur le chemin, il va sauver une voleuse et en tomber amoureux, tout en distribuant à intervalles réguliers salades de phalanges, bourre-pifs et autres tartes de torgnoles à ses opposants !
Manque de rigueur narrative
Dans les grandes lignes, Sakra suit scrupuleusement la moitié du récit originel, avec un soin de fabrication bienvenu. En effet, Donnie Yen a beau avoir déjà mis en scène quelques films mineurs, Sakra représente un défi de taille pour l’artiste martial, ayant abandonné le genre pour l’actioner contemporain (Raging Fire). Renouant avec la tradition initiée par la Shaw Brothers ou encore Tsui Hark, le film jouit d’entrée de jeu d’une belle reconstitution d’époque et d’un soin photographique des plus appréciables.
Malheureusement, Donnie Yen n’est pas un conteur, et cela se ressent dès l’introduction express, présentant de manière rapide les origines de Qiao Feng tout en paraphrasant le contexte historique. Sakra fait donc le choix du « tell, don’t show » de manière regrettable. Le spectateur doit ainsi être privé de tout le contexte historique, relégué en arrière-fond sans que cela ait une grande incidence dans le résultat final.
Mais l’écueil ne s’arrête pas là, alors qu’en terme de mise en scène et de montage de séquences aux velléités plus dramatiques, Donnie Yen semble louper l’emphase émotionnelle requise. Des séquences pivots noyées dans du sirupeux et sur-imprimée par la musique de Chan Chi-wai, qui amenuise grandement l’impact des fameux passages de révélation ou de tourments intérieurs via un aplanissement des valeurs de plan et de montage.
Combats de haute qualité
Dès lors, difficile d’être totalement investi dans le destin de Qiao Feng, dont la trajectoire tragique ira même jusqu’à foirer l’incarnation d’une romance centrale et ses répercussions, qui prennent plus de place que le pugilat dans la seconde partie du film. Un manque de focus, de maîtrise narrative et de balance de ton qui nuit donc fortement à Sakra, jusque dans sa fausse-conclusion teasant une suite de manière encore plus grossière que dans un blockbuster super-héroïque (scène post-générique à l’appui).
En contre partie, Sakra sait aussi mettre l’accent sur la tatane (notamment dans sa première moitié) et dès le premier acte, Donnie Yen propose parmi les meilleurs combats de wuxia qu’on ait vu cette décennie. Techniquement très solides, au montage des plus efficaces et aux chorégraphies inspirées (jusque dans l’irruption de pouvoirs matérialisés par la maîtrise des chakras), ces séquences valent à elles-seules le visionnage de par leur maîtrise et leur technicité (jusqu’en post-générique avec l’utilisation de la caméra portée en vue subjective).
Au final, Sakra est la définition d’un film au résultat moyen, mais où l’on ne devrait pas s’arrêter à ce demi-constat. Très satisfaisant sur le plan technique et wu xia pian pur, Donnie Yen loupe cependant sa dimension dramatique et dramaturgique. Un traitement dommageable donc, mais qu’on espère circonscrit à cette première tentative de plongeon vers le genre.
Sakra sortira au cinéma le 10 mai 2023
avis
Avec Sakra, Donnie Yen se lance dans la réalisation d'un ambitieux wuxia pian avec un résultat en demi-teinte. Si le film est réussit techniquement et parvient à globalement tenir son récit la première heure, les lacunes de conteur de ce dernier sont ensuite décuplées alors que le film ne parvient pas à l'emphase émotionnelle requise.