Passeport aborde les thèmes de l’immigration clandestine et de la quête d’identité dans une fresque épique aux allures de conte humaniste.
Ce nouveau spectacle qui enflamme Paris ne vous aura sans doute pas échappé puisqu’il s’agit de la toute dernière création d’Alexis Michalik, que l’on ne présente plus. Après Une histoire d’amour, ce génie de la mise en scène et auteur de talent revient avec une création percutante qui nous plonge au cœur de la détresse humaine avec beaucoup d’amour, bien plus d’espoir, et un soupçon d’humour. Et il nous offre notre premier coup de cœur de 2024.
Une vie à inventer
L’histoire est on ne peut plus contemporaine. Issa, jeune Érythréen, a perdu la mémoire après avoir été laissé pour mort dans la jungle de Calais. Avec son passeport comme seul élément le reliant à son passé, il se lance alors, aux côtés de deux de ses compagnons d’infortune, dans le parcours interminable et semé d’embûches pour obtenir le fameux Graal du titre de séjour. Et dès les premiers instants, on sent que l’intensité sera au rendez-vous et que nous avons affaire à des comédien.ne.s pleinement engagé.es.
On commence par découvrir comment la vie, ou plutôt la survie, se déroule, s’organise à l’intérieur du camp. On y apprend des choses aussi sur la réalité de ces être humains naufragés qui s’accrochent à tout ce qui leur reste : l’espoir d’une vie meilleure. C’est là qu’Issa se lie d’amitié avec Aroun, originaire d’Inde, et Ali, originaire de Syrie. Pour espérer trouver un travail et obtenir un logement, ils finissent par se rendre à Paris. Mais ils n’en ont pas fini avec les désillusions. Et avant de pouvoir prétendre à louer un appartement miteux en banlieue, c’est sous un pont que débutera leur séjour.
Du grand Michalik
Michalik use ici de tout, sans jamais abuser de rien. Comme toujours, la mise en scène est rythmée, tonique, très vivante. Mais elle ne sème pas l’histoire ni ne la précède. Elle l’accompagne au contraire avec beaucoup de justesse, lui sert d’écrin. Les quelques éléments du décor de Juliette Azzopardi sont habilement exploités, comme ces coussins qui composent un lit et sont soudain attrapés par leur poignée pour servir de bagage dans la scène suivante ; et les projections vidéos de Nathalie Cabrol sont toujours très pertinentes, parfois même surprenantes d’ingéniosité. On ne vous en dévoile pas plus !
Des décors et projections qui, avec la complicité des lumières de François Leneveu, nous transportent dans de nombreux lieux. On passe ainsi de la jungle de Calais à la chambre d’un appartement, en passant par les Urgences, la cuisine d’un restaurant, une bibliothèque, un wagon de train ; on se retrouve sur le bord d’une route, puis sous un pont de Paris, et même en pleine mer… tandis que les musiques de Sly Johnson accompagnent à merveille l’intensité des différents tableaux. Bref, c’est prenant, parfois même fascinant, et très bien ficelé, jusqu’à un twist final imprévisible et redoutablement efficace !
Un casting brillant
Et que dire de ces comédien.ne.s formidables et touchants qui nous entraînent dans cette incroyable épopée, endossant chacun plusieurs rôles avec talent et sincérité. À commencer par Jean-Louis Garçon dans le rôle de ce Issa que l’on apprivoise doucement à mesure que lui-même ré-apprivoise la vie avec résilience ; si bouleversant quand il se confie à la bibliothécaire (Ysmahane Yaqini) ou essaye d’être un cuisinier irréprochable. Il forme avec ses deux compagnons d’infortune, Arun (Kevin Razy) et Ali (Fayçal Safi) un trio attachant.
Coup de cœur également pour Manda Touré, qui interprète avec un grand naturel la jeune journaliste Jeanne, née à Toulouse de parents maliens. Un personnage très fin, subtil, drôle, qui se prend d’affection pour Lucas (Christopher Bayemi), dont nous suivons aussi la quête d’identité. Un jeune gendarme originaire de Mayotte, adopté par des parents calaisiens dont le père, un ancien militaire (excellent Patrick Blandin, dont nous avions déjà apprécié le talent dans Big Mother), est plus qu’hostile aux migrants.
Passeport, un spectacle engagé
On entend, au cours de la scène d’un repas de famille peu digeste, les arguments souvent tenus par ceux qui oublient qu’ils pourraient bien, eux aussi, tout perdre un jour. Des phrases comme « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Des paroles auxquelles la peur et le mépris s’accrochent, mais qui feraient une bien piètre bouée en plein cœur de la Méditerranée. Impossible de ne pas ressentir d’empathie devant la complexité ubuesque des interminables démarches administratives auxquelles ces migrants se trouvent confrontés pour espérer pouvoir prétendre à un titre de séjour. Démarches face auxquelles on se serait sans doute découragé bien avant eux. L’espoir, toujours lui. Rien que lui.
L’Europe, terre d’asile, terre de tous les espoirs avec le travail, la démocratie, la sécurité sociale… Le rêve d’une vie meilleure possible, qui vire bien plus souvent au cauchemar pour des hommes et des femmes que ce spectacle nous donne envie d’aimer mieux. Auxquels il nous donne envie de laisser une chance, qu’il nous invite à regarder d’une autre manière. Avec le cœur peut-être. Et alors même qu’on croyait savoir, on a l’impression d’en sortir plus lucide.
« Les misérables n’ont d’autre remède que l’espoir. »
Shakespeare
Alors bien sûr, tout cela est très romancé, très feel good. Rien ni personne n’est détestable, aucune épreuve insurmontable… Et le destin d’Issa n’est qu’un destin imaginé parmi tant d’autres qui auraient pu l’être et prendre des tournures bien différentes. La réalité est pire, nous le savons. Mais il ressort de ce spectacle captivant et divertissant un puissant message de tolérance, d’amour et d’humanité. Un message porté avec beaucoup d’engagement et de talent, qu’on ne peut qu’applaudir longuement.
Passeport, écrit et mis en scène par Alexis Michalik, avec Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré & Ysmahane Yaqini, se joue actuellement au Théâtre de la Renaissance.
Avis
Avec cette mise en scène riche, épique et sans superflu, Michalik signe ici une création de haut vol. Tout et tout le monde est à sa place, tout fonctionne. Et ce qui reste avant tout un divertissement fonctionne à merveille, tout en insufflant quelques valeurs dont notre monde a cruellement besoin.