Ogre est le premier long-métrage, écrit et réalisé par Arnaud Malherbe. En compétition cette année au Festival de Gérardmer, ce premier film engagé s’ancre dans notre société par ses thématiques actuelles. Malgré de véritables attentions de mises en lumière d’un sujet politique, il semble que ce premier film ne se fasse pas confiance en lui-même, abandonnant sa forme de conte mystérieux pour une approche trop frontale et un peu grossière…
Après ses études de journalisme, Arnaud Malherbe intègre la Fémis dans la section scénario. Il écrit d’abord pour la télévision ainsi que pour la bande-dessinée. Son court-métrage Dans leur Peau obtient le lauréat de Grand Prix du Festival du film fantastique de Gérardmer en 2008. Il réalise par la suite Story en 2009 et Chambre Noire en 2013. L’auteur-réalisateur se tourne ensuite vers des formats plus longs s’aventurant vers des séries, comme Chefs en 2015. Il crée et réalise la série fantastique Moloch en 2019. Trois ans plus tard, il réalise son premier long métrage, Ogre qui se retrouve en compétition à la 29ème édition du Festival de Gérardmer.

Ogre raconte l’histoire de Chloé (Ana Girardot) et de son fils Jules (Giovanni Pucci), 8 ans. Ils démarrent une nouvelle vie dans le Morvan où la mère vient exercer son métier d’institutrice. Accueillie chaleureusement par les habitants du village, elle tombe sous le charme de Mathieu (Samuel Jouy), le médecin charismatique mais mystérieux du village. Malgré l’aspect paisible du hameau, de terribles évènements refont surface. Un enfant a récemment disparu et une bête sauvage rôde et s’attaque au bétail…
Un film aux bonnes intentions
Le fantastique a l’avantage d’être un véritable outil d’écriture dans l’Art, la littérature, la peinture, la musique ou encore le cinéma. Les monstres incarnent des peurs parfois refoulées ou bien assumées de notre société et de son histoire. Les lectures des œuvres et leurs interprétations sont libres et surtout intemporelles. Le spectateur peut alors voir Nosferatu le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau comme un simple film de vampire, ou bien comme une allégorie d’une pandémie telle que la peste, ou bien encore comme la montée d’un régime totalitaire au pouvoir. Il peut également voir Cloverfield de Matt Reeves comme un simple film de science-fiction ou bien comme une véritable catharsis d’une Amérique en pleine reconstruction post-attentats de 2001.
Ce genre a donc une fantastique liberté, tant sur sa forme (horreur, conte, science-fiction) que sur son fond (allégories, métaphores filées). Arnaud Malherbe, lui, s’abandonne sur la forme d’un conte. Une mère et son fils quittent leur terre natale urbaine pour une province aubaine et isolée.

Tandis que Ogre s’ancre dans un univers réaliste, il passe au fur et à mesure vers un registre plus vraisemblable. Le surnaturel et le fantastique s’installent par le biais de créatures que les personnages évoquent. Les villageois parlent d’une bête rappelant un loup-garou qui rôde autour du village et Jules évoque un monstre dans sa chambre qui l’observe et veut le dévorer pendant la nuit.
En fait, il semblerait que Ogre matérialise une société (les villageois) inquiète d’une bestiolle qui rôde et qui tue. Le film parle également d’un enfant terrifié et hanté par une créature (qui pourraient symboliser les répercussions de ces inquiétudes sur la jeunesse) à laquelle les adultes refusent de croire cependant. Dès lors, on pourrait transposer de nombreuses thématiques incarnées et portées par le fantastique et ses créatures, seulement voilà… Arnaud Malherbe ne semble pas faire confiance à son film et à sa poésie, passant du mystique à la surabondance des explications du pourquoi.

En découle plusieurs dialogues hyper frontaux sur l’origine des personnages ainsi que sur leur réactions face aux problèmes rencontrés au travers du film. Arnaud Malherbe semble vouloir prendre par la main le spectateur. Il pointe du doigt les sujets plutôt que de lui laisser son imagination créer et développer. Les scènes de dialogue sonnent un peu fausses et le surnaturel disparaît d’une certaine manière. L’accompagnement du réalisateur et sa présence se ressentent, créant une véritable distance entre le visionnage du film et son interprétation. Dommage, surtout quand le film aurait largement pu se porter tout seul…

Une grande force d’Ogre réside néanmoins dans sa magnifique photographie. Pénélope Pourriat – cheffe opératrice – et Arnaud Malherbe développent un véritable langage au service du conte. Le travail de la couleur, principalement du vert et du bleu, est associé à une nature perdue dans une nuit noire, dont les ombres sont profondes et infinies… On remarque également un véritable travail du silhouettage, renforçant encore plus la dimension mystique de l’univers. La créature est notamment d’abord suggérée par ce procédé et propose une première apparition terrifiante. Dommage que celle-ci ne soit révélée toute entière quelques scènes plus tard, vu qu’on sait finalement à quoi s’apparente la menace…
Un film qui se perd un peu…
Le véritable problème d’Ogre semble résider dans ses ménages d’effets, parfois trop frontaux, puis finalement trop flous… Le film donne l’impression de vouloir élargir son sujet à d’autres, sans qu’on puisse vraiment en saisir le sens, alors que sa thématique de base était amplement suffisante, actuelle et importante.

En résulte un premier film un peu bancal, qui reste néanmoins intéressant sur un fond aux bonnes intentions. Le long-métrage propose également une forme formidable, aux cadres parfaits et à la photographie crépusculaire terrifiante. Enfin, Arnaud Malherbe montre qu’il est cependant possible de raconter de véritables sujets sociétaux au travers d’un film de genre produit par des français, porté par des français et filmé en France, en Bourgogne-Franche-Comté. Et ça, ça fait toujours plaisir.
Ogre est actuellement au cinéma.
Avis
Ogre est un long-métrage rempli de bonnes intentions, mais un peu fourre-tout... Le film reste néanmoins important notamment par le sujet qu'il aborde. Enfin, ça fait toujours plaisir de voir du cinéma de genre fait, porté et tourné par des Français, en France.