Premier film français abordant frontalement l’esclavage et le marronnage, Ni Chaînes Ni Maîtres s’affirme avant tout comme un survival efficace et une première réalisation étonnante de maîtrise de la part du co-scénariste de Boîte Noire et Goliath.
Les films sur l’esclavage est un presque un genre cinématographique à lui seul désormais (à l’instar du film de Shoah), pourtant relativement restreint en terme de quantité d’œuvres. De plus, difficile de pleinement s’émanciper des ténors que sont le sulfureux Mandingo, ou bien le désormais culte 12 Years a Slave. C’est ainsi que Ni Chaînes Ni Maîtres débarque sur nos écrans après son passage au Festival de Deauville.
Pourtant, le film de Simon Moutaïrou (ayant fait ses armes en tant que scénariste, notamment sur Boîte Noire ou Goliath) a plus d’une particularité dans son sac. En premier lieu, il s’agit d’une production relativement inédite dans le paysage cinématographique français (on met la comédie Case Départ de côté), abordant frontalement l’esclavage du milieu du XVIIIe siècle sur ce qui est désormais l’Île Maurice.
Fugitifs marrons
Nous suivons Massamba/Cicéron (Ibrahima Mbaye) et sa fille Mati/Colette (Thiandoum Anna Diakhere), un père et sa fille travaillant sous la coupe d’Eugène Larcenet (Benoît Magimel). Rêvant de leur liberté, cette dernière va néanmoins être contrariée le jour où Mati est assignée en tant que domestique de maison.
Désireuse de s’enfuir, elle va être poursuivie par Madame La Victoire (Camille Cottin), une chasseuse de marrons (terme d’époque désignant les esclaves noirs fugitifs). Massamba va tout faire pour sauver sa fille, et tenter de survivre dans cet enfer insulaire qui était autrefois la terre de ses ancêtres.
Ni Chaînes Ni Maîtres débute avec une surprise non-négligeable : au-delà de son sujet important, on a là un film de mise en scène avec un cinéaste ayant un regard plutôt singulier au sein du genre. Certes, on commence par une introduction « classique » présentant les rouages (au sens propre comme au figuré) du quotidien de la plantation (avec un Magimel odieux sans effort derrière les belles paroles et qu’on aime directement détester), avant de bifurquer vers une course-poursuite représentant le véritable corps du récit.
Réquisitoire qui embrasse le survival
Le réalisateur a d’ailleurs la riche idée de nous présenter les prémices d’un changement de mentalité au sein de la famille française (le toujours très bon Félix Lefebvre faisant office de voix humaniste), avant que Ni Chaînes Ni Maîtres ne vienne tâter le terrain d’un The Revenant ou Apocalypto (toute proportion gardée) en tant que survival en milieu naturel (oui c’est mieux qu’Emancipation).
Un tournage en pleine jungle, avec une dimension spirituelle bienvenue complètement adéquate avec la nature même du récit : que ce soit les traqueurs ou les traqués, ces derniers seront confrontés à leurs propres convictions et une foi ébranlée (mettant en parallèle un christianisme perverti par la couronne, et une mythologie wolof se manifestant à l’écran avec sens).
Le réquisitoire humain flirte ainsi avec le film de genre via une efficacité dopée par une mise en scène mixant naturalisme de toute beauté (ces plans de plage figurent parmi les plus beaux vus cette année), esthétisation des corps (énormément de plans rapprochés pour capter les regards et les émotions) et regard viscéral (pas mal de plans caméra à l’épaule ou même en plan subjectif).
Une grammaire visuelle jamais factice, toujours inspirée et surtout incarnée pour mener tambour battant cette chasse à l’homme jusque dans un climax nocturne sacrifiant sa lisibilité au profit d’une utilisation du tonnerre comme moyen de camouflage.
Court pour ses ambitions
Malgré tout, il apparaît dommage qu’une telle profession de foi appliquée laisse sur le côté quelques éléments (que ce soit Magimel ou Vassili Schneider), notamment une dimension émotionnelle entre Massamba et Mati (la faute à un prologue ne s’attardant pas assez sur leur relation ou cette dernière). Même Cottin (excellente choix d’antagoniste au passé trouble et à l’allure de faucon) se révèle mise de côté en même temps qu’une réorientation des enjeux dans un épilogue de 10 minutes trop bavard, mais rattrapé par son final élégiaque.
Quelques heurts qui ne pèsent pas bien lourd devant ce Ni Chaînes Ni Maîtres à la fois intimiste et ample, touchant et prenant. La révélation d’un casting de talent (impossible de lâcher Ibrahima Mbaye de chaque photogramme) mais aussi d’un cinéaste à suivre dans nos contrées : une réussite !
Ni Chaînes Ni Maîtres est sorti au cinéma le 18 septembre 2024
avis
Ni Chaînes Ni Maîtres n'est pas un réquisitoire de plus sur l'esclavage : de par une grammaire visuelle inspirée, un questionnement sur la spiritualité des traqueurs et des traqués, un casting opérant en langue française et wolof, une reconstitution d'époque immersive et un rythme mené tambour battant, on tient là ni plus ni moins qu'une belle réussite ! Malgré quelques éléments le tirant vers le bas de par sa faible durée, difficile de ne pas voir ici la naissance d'un cinéaste à suivre !