Mauvais Ordre voit revenir Lomepal après trois années d’absence. Un retour plus radical, désenchanté et rock.
Mauvais Ordre est l’album d’un artiste qui choisit une autre direction. Après avoir enchaîné les succès de ses deux premiers albums à une cadence infernale, FLIP et Jeannine, et de leurs deux superbes rééditions, avant un concert enregistré au mythique studio Motorbass (3 jours à Motorbass), le temps de la pause était enfin venu pour Lomepal. Travesti sur son premier album, explorant la folie familiale dans son deuxième opus avec le visage de sa grand-mère en plein dans le crâne, Lomepal sort ici du centre du cadre pour revenir écrasé par le portrait géant de l’actrice Souheila Yacoub, également sa compagne à la vie. Parce que sa vie a changé, ses textes et sa posture aussi, l’idée de renouveler son personnage et son univers musical s’imposait.
De l’harmonie au désordre
Lomepal a ainsi toujours conté dans ses textes un sentiment d’instabilité. Des sentiments malheureux et contrariés, un manque de stabilité exprimés dans Yeux disent à la rupture toxique de Trop beau, en passant par la folie transmise en héritage en fil conducteur de Jeannine, ces exemples, sans ne jamais pouvoir résumer toute une carrière, font part d’obsessions pour les zones d’ombre. Alors, comme OrelSan pour Civilisation, comment renouveler un personnage de jeune homme égaré passant la France au lance-flammes à un rappeur amoureux, heureux mais inquiété par une société au bord de l’implosion ? C’est bien là tout le défi ce Mauvais Ordre où l’amour résonne ici comme un refuge à un monde en pleine implosion où à une personnalité toujours aussi troublée (Decrescendo, Pour de faux).
Il y ainsi dans l’écriture de Lomepal toujours quelque chose d’à fleur de peau mais se tournant plus volontiers vers la fiction, comme une envie d’alimenter un personnage dont l’artiste pourrait facilement se détacher. La vision de cet alter-égo c’est celle d’un homme toujours aussi solitaire et perdu, passant par des envies meurtrières dans Etna et Auburn à un amour vrai que l’on ne veut pas accepter malgré l’évidence par peur de se conformer (Mauvais ordre, Hasarder). Perpétuellement vouloir sortir des cases et des évidences, (Le miel et le vinaigre) et tenter de refuser un bonheur tout écrit d’avance (Maladie moderne) en ne se sentant malgré tout bien que dans la solitude, telles sont les contradictions de cet être jamais vraiment à sa place et se complaisant dans son malheur.
Désordres à l’harmonie
Là où l’on rompt net avec les deux précédents projets de l’auteur, c’est au niveau de la production. Exit le rap, les influences pop et rock éclatent et le chant se fait beaucoup plus présent qu’à l’accoutumée. À peu près, Auburn, Maladie moderne, et surtout Crystal en est ainsi une merveille, de ce titre halluciné rappelant les guitares déstructurées de Connan Mockasin où de Mac Demarco au ralenti relatant la rencontre avec une prostituée voulant arrêter la drogue qui se confronte enfin au réel le temps d’un bref moment sans influence. Mauvais Ordre paraît, malgré sa générosité musicale, beaucoup plus sec et moins poli que ses prédécesseurs. Le ressenti est plus aride, plus cru, plus direct, d’un personnage assumant enfin totalement sa part de fiction et crachant sa haine et son mal-être au monde.
Plus mature, plus recherché, Mauvais Ordre n’en demeure pas moins l’œuvre la moins accessible de Lomepal. Parce que l’écriture s’y fait moins facile, plus évocatrice et plus torturée, ce troisième opus détourne les attentes pour l’emmener creuser la part de mal-être d’un homme dont la place d’étranger perpétuel au monde qui l’entoure le satisfait volontiers. Ceux qui s’attendaient à l’album d’un homme épanoui et amoureux seront donc déçus, comme quiconque recherchait une continuité aux deux précédents opus de l’artiste. Lomepal étonne, détonne, peaufine et creuse, et ce Mauvais Ordre, comme un morceau d’une apocalypse intérieure, parvient malgré tout à prouver son ombrageuse harmonie.
Mauvais Ordre est sorti le 15 septembre 2022.
Avis
Avec Mauvais Ordre, Lomepal déjoue les attentes. Le troisième album de l'artiste marque ainsi une réelle rupture avec ses deux précédents opus pour creuser la part sombre d'un alter-égo qui se plaît à éviter le bonheur avec hargne et acharnement. Plus pop-rock et chanté que rap sucré, Mauvais Ordre paraît aussi plus aride, plus désenchanté et s'avère facilement être comme l'œuvre la moins accessible de son auteur, malgré sa belle harmonie de désordres intérieurs.