J’avais ma petite robe à fleurs est le monologue poignant d’une jeune femme qui espère oublier le drame qu’elle a vécu en témoignant.
J’avais ma petite robe à fleurs : un titre qui, déjà, interpelle. Blanche a 26 ans, et la vie semble déjà l’avoir quittée. C’est arrivé un soir d’été semblable à tant d’autres, sauf que celui-là à bouleversé son existence de la pire des manières.
Violée par deux hommes, la jeune femme tente péniblement de se reconstruire. Pour l’y aider, elle compte sur la diffusion d’un témoignage que lui propose d’enregistrer une chaîne de télévision. Mais pour être sélectionnée, elle doit convaincre…
Le témoignage comme ultime espoir
Enfermée dans son appartement, face à la caméra qui lui est prêtée pour 3 jours, Blanche tente de trouver les bons mots, le ton juste pour raconter l’indicible. Pour convaincre. Car si son témoignage est choisi, elle pourra accéder au direct, à la lumière, libérer sa parole, elle qui depuis trois ans fuit la vie, la nuit, les hommes. Alors elle doit « jouer le jeu », tout dire.
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Car la jeune femme qui a perdu tous ses repères, enfermée dans sa solitude, voit en cette opportunité une chance de s’en sortir enfin. Ainsi, entre deux bols de céréales qu’elle ne mange pas, elle allume la caméra et se confie. Sur un drap blanc, son image est projetée de sorte que nous sommes spectateurs du témoignage à la fois devant et derrière l’écran.
Parler coûte que coûte ?
Ce double point de vue créé quelque chose d’intéressant. Car il ouvre des perspectives, aussi bien en termes d’émotions et d’intensité qu’en termes de réflexion sur le rôle de la parole, son impact sur le spectateur selon la forme qu’elle prend alors que seul le fond devrait compter. Et c’est précisément là que nous sommes face à une obscénité : celle d’être victime, mais de devoir « convaincre » pour être digne d’attention.
« Les spectateurs veulent des détails, et cela peut m’aider. »
Tout est bouleversant dans cette pièce. Le témoignage en lui-même évidemment, son interprétation, la finesse du texte, la mise en scène de Nadia Jandeau qui expose cet extrait d’intimité avec un voile de pudeur. Mais aussi la réflexion proposée sur ce qui arrive après un viol. Sur ce qui devient la réalité intérieure de la victime ; sur ce que la société attend plus ou moins implicitement d’elle ; ou encore sur l’usage voyeuriste que peuvent en faire les medias.
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Et quelques évidences sont rappelées. Ainsi, savoir que ça aurait pu être pire ne rend rien plus facile ; ne pas être seul(e) à avoir vécu un drame ne le rend pas moins douloureux et indigeste ; parler ne suffit pas toujours pour se reconstruire. Sans oublier que la tenue que l’on portait ne devrait pas être un sujet lorsqu’on est victime de violences ; ou encore que l’exploitation médiatique de la parole des victimes n’est dans certains cas qu’une agression de plus.
Une incarnation bouleversante
On se demande d’ailleurs comment Alice De Lencquesaing peut incarner avec autant de profondeur l’horreur de ce qu’elle raconte, faire exister avec tant de justesse ce drame dans son propre corps, jusqu’à éliminer de son regard la plus petite étincelle de vie. Et puis l’on se souvient qu’une femme sur quatre subit une agression sexuelle au cours de sa vie. Et que cela aide, forcément, à s’approprier un tel récit…
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La comédienne – remarquée en 2011 dans le film de Maïwenn, Polisse – et au théâtre dans la pièce d’Alexis Michalik Intra muros notamment – n’en est pas moins épatante. Impossible de la quitter du regard. On est absorbé par ces yeux noirs qui nous regardent parfois, qui souvent ne regardent plus rien mais qui semblent fixer un vide vertigineux. Et l’on est plus troublé encore lorsqu’elles s’adresse directement à nous, nous confronte.
On aurait toutefois aimé une fenêtre ouverte un peu plus grand sur l’espoir d’un après plus léger et lumineux que les tout derniers instants de la pièce viennent joliment suggérer. Et un peu plus de nuances, aussi, pour rendre l’ensemble moins étouffant.
J’avais ma petite robe à fleurs, de Valérie Lévy, mise en scène Nadia Jandeau, avec Alice De Lencquesaing & Valentin Morel (cameraman), se joue jusqu’au 27 mars 2022, du mardi au samedi à 20h30 et les dimanches à 15h30, au Théâtre du Rond-Point.
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Avis
Une œuvre forte et nécessaire sur le viol, ses conséquences, et l'exploitation médiatique de la parole des victimes, dans laquelle Alice De Lencquesaing livre une performance mémorable.