Dans Les Linceuls de David Cronenberg, Karsh, cinquantenaire et homme d’affaire renommé, ne s’est jamais remis de la mort de sa femme. Il décide alors d’inventer une nouvelle technologie, GraveTech, qui grâce à des linceuls connectés permet aux vivants de garder un « contact » avec les défunts.
David Cronenberg a écrit Les Linceuls en hommage à sa défunte épouse, morte en 2017. Ce qui semble être le dernier film d’un grand cinéaste est donc des plus personnel, un film mélancolique qui traite de la mort sans détour.
Un comédie pas vraiment comique
A l’occasion des 130 ans de l’invention du cinéma, Les Cahiers du Cinéma ont entamé une série de grands entretiens. David Cronenberg a été le premier à ouvrir le bal en janvier 2025. Il y parle de son long-métrage, Les Linceuls, film très attendu de 2025. Selon lui, son film doit être considéré comme une comédie… Certes. Mais à l’instant où on est en salle pour regarder Les Linceuls, l’étiquette du genre « comique » devient très vite discutable. La première scène nous plonge dans un univers glauque, étrange. Et la première réplique qu’on entend c’est « Le deuil vous pourrit les dents ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on sait qu’on va regarder la mort droit dans les yeux !

Les Linceuls traite du deuil par la retenue, Karsh (interprété par Vincent Cassel) laisse rarement libre cours à ses émotions. C’est une posture qui n’a rien d’irréaliste, on connaît tous quelqu’un qui nous a déjà dit qu’il ne fallait pas se laisser abattre, qu’il fallait avancer. Personne ne gère le chagrin de la même manière, c’est un fait. Karsh est le genre à garder la tête haute, et même s’il reste profondément affecté par ce qu’il a vécu, il n’en montre rien. Et justement, c’est un peu le problème, Vincent Cassel ne laisse paraître absolument aucune émotion du début à la fin du film. De fait, son personnage évolue dans une sorte de désintérêt constant qui est assez surprenant. On le voit parler de la mort de la femme de sa vie, mais on a un peu de mal à éprouver de l’empathie. Karsh ne se laisse jamais totalement cerner, ce qui est d’autant plus perturbant qu’il est le personnage principal du film.
Un rapport franchement malsain
Aussi, on a cette étrange impression de rester extérieur à l’histoire. D’une part, parce que tout se construit sur une retenue constante, ce qui contribue à la gêne qu’on peut ressentir en tant que spectateur. Les Linceuls aborde frontalement le thème de la mort. De fait l’idée de commercialiser des linceuls technologiques devient assez vite très malsaine et l’obsession de Karsh pour le corps de sa femme d’autant plus dérangeante. Le rapport au corps est en effet omniprésent dans Les Linceuls, on parle des défunts sans pincettes. Là où la langue française nous permet des tournures pour atténuer (l’exemple classique de l’euphémisme : il nous a quitté pour dire de quelqu’un qu’il est mort) Cronenberg nous fait au contraire directement regarder dans les yeux d’un cadavre en décomposition.

D’autre part, c’est également la mise en scène qui nous maintient à la frontière de l’histoire. Entre les théories complotistes qui vont bon train et les scènes très crues, Les Linceuls instaure une atmosphère de malaise croissant. Ce côté complotiste que prend l’histoire commence par faire mouche. C’est excessif, et ça ne semble pas être pertinent. Par moment ça paraît même faire basculer la narration dans un ridicule dont elle aurait pu se passer. Ce choix scénaristique fait sans aucun doute référence à ceux qui ne veulent pas accepter leur chagrin et qui préfèrent chercher des coupables. Mais l’irruption de ces discours qui veulent tout expliquer peine à se mêler à une narration qui ne semble pas savoir dans quelle direction aller. On a, de fait, un mal fou à voir le bout de l’intrigue du film Les Linceuls.
Une narration trop éparse
Sans pour autant être un film très long (deux heures) Les Linceuls ne parvient pas à éviter quelques longueurs. Pendant toute une partie du film, il y a quelque chose d’incompréhensible dans la gestion de la narration. On nous donne une info, qui passe au second plan, puis une seconde, qui se dissipe tout aussi vite. Rien n’est expliqué, on passe sans cesse à quelque chose d’autre. Et quand on daigne nous offrir des pistes de réponses, elles arrivent très tardivement, encore faut-il se souvenir de ce dont il était question ! A force on en vient à se demander comment Cronenberg va bien trouver la façon de conclure une histoire qui ne semble pas appeler de fin logique.

Dans Les Cahiers du Cinéma, Cronenberg confie que Les Linceuls est né d’un pilote de série. L’histoire devait donc à l’origine s’étendre sur une chronologie bien plus étendue. Ainsi, le long-métrage Les Linceuls donne un peu cette impression qu’on nous promet une conclusion dans le prochain épisode. En cela, certains personnages vont et viennent, on ne sait pas trop pourquoi. Comme si une suite permettrait de donner plus de consistance à certains d’entre eux. Par exemple, la sœur de la morte (Diane Kruger) prend de l’importance pendant un temps, avant de disparaître complètement, pour revenir un peu plus tard. Et nous, on aimerait en savoir plus sur ce qui se passe de son côté, sur ce qui la pousse à être ce qu’elle est. De même, le frère de Karsh suscite bon nombre de réflexions qui, à l’instar de la narration, n’auront pas de conclusion.
Les Linceuls de David Cronenberg est un film profondément dérangeant dans sa manière frontale d’aborder son sujet. Pourtant, nous mettre les pieds dans le plat ne suffit pas à nous faire passer cette étrange impression d’un film qui ne sait pas comment se terminer
Les Linceuls de David Cronenberg est en salles dès le 30 avril 2025.
Avis
Les Linceuls de David Cronenberg est le genre de film qui reste en tête du fait de sa bizarrerie. Le plus dérangeant étant sans conteste qu’il s’agit d’un film qui se refuse à impliquer émotionnellement ses spectateurs.