L’écume des jours nous offre une plongée musicale exaltante et créative dans l’univers du roman de Boris Vian.
L’écume des jours, pour un certain nombre d’entre nous, évoque le souvenir flou d’une lecture imposée au lycée. Nous étions, pour notre part, complètement passés à côté de cette œuvre pas forcément des plus simples à aborder à l’adolescence. Même la poésie de son titre nous avait échappée jusque là !
C’est donc par pure curiosité, sans attente particulière et sans même plus nous souvenir de l’histoire que nous avons eu envie de découvrir cette pièce. Et quelle bonne idée avons-nous eue là ! Car c’est une sacré belle surprise que la compagnie Les joues rouges nous a réservée… Clairement l’un des spectacles de la rentrée à ne pas manquer.
Une histoire d’amitié, d’amour, de liberté
Sur scène, un écrivain commence à taper son histoire à la machine. Les personnages apparaissent alors les uns après les autres, jouant sous nos yeux les scènes qui s’écrivent petit à petit. Cette histoire, c’est avant tout celle de Colin qui voudrait tomber amoureux, mais que sa timidité paralyse quand elle ne le fait pas fuir. Jusqu’à ce qu’il rencontre Chloé. Alors, c’est l’amour fou. Un amour qui le rend « à la fois désespéré et terriblement heureux. »
On s’attache à ce groupe d’amis qui vont s’entraider les uns les autres dans une existence qui ne leur fera pas de cadeau. Il y a Nicolas, le cuisinier attentionné de Colin, son meilleur ami Chick, qui dépense tout son argent dans les œuvres de Jean-Sol Partre auquel il voue une admiration sans borne et que sa compagne, Alise, ne parvient pas à raisonner. Et puis il y a Isis, l’amie entremetteuse. Tous débordent de vie, de joie et d’insouciance.
Une composition de qualité
Ce type de pièces où se mêlent jeu, chant, danse, musique et humour est probablement – avec le burlesque – l’un des genres les plus délicats à aborder. Car il ne suffit pas d’une troupe sympathique et d’une bonne énergie pour que ça fonctionne. En effet, derrière des airs de « joyeux bordel », c’est un exercice qui peut vite se révéler périlleux et basculer dans le mauvais goût s’il n’est pas abordé avec une profonde exigence, dans le fond comme dans la forme.
« Cette histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre. »
Boris Vian
Et cette adaptation de Claudie Russo-Pesoli nous a enthousiasmés par tous ses aspects. À commencer par le jeu des comédien(ne)s. Ils sont neuf à se partager le plateau, et aucun d’eux ne montre la moindre faiblesse sur toute la durée de la pièce. En tout cas pour ce qui est de celles et ceux que nous avons vu(e)s puisqu’il y a deux distributions en alternance. Tout est précis, fluide, que ce soit dans le jeu, le chant ou la danse.
Une troupe brillante
Aussi, le talent de chacun(e) est à saluer, même si nous avons eu quelques petites préférences. À la fois drôle et touchant avec ses mimiques et sa gestuelle parfois un peu clownesques, Ethan Oliel est formidable dans le rôle tout en variations de Colin. Lou Tilly incarne avec un charme fou et une sensibilité très juste la tendre et fragile Chloé. Et si le rôle d’Isis nous a semblé moins essentiel, chacune des interventions d’Émilie Le Néouanic n’en reste pas moins enthousiasmante, tant pour sa voix que pour ses superbes tenues, un brin décalées, tout en noir blanc !
Avec son jeu profond et teinté d’espièglerie, Sara Belviso nous a particulièrement séduits dans le rôle d’Alise, notamment dans son interprétation de la chanson ‘Fais-moi mal Johnny’. Idem pour le charismatique Stéphane Piller, aussi convaincant dans le rôle de Nicolas, le cuisinier, que dans les autres qu’il interprète ; et particulièrement celui, très drôle, du snob dont il s’approprie délicieusement la démarche ! Et que dire d’Adrien Grassard, tout simplement hilarant dans le rôle farfelu du médecin qui nous livre un « rap médical » aussi génial qu’improbable !
Une pièce hautement réjouissante !
La mise en scène, très rythmée, moderne et ingénieuse, contribue à donner à l’ensemble un côté effervescent et galvanisant, et parvient à traduire habilement la dimension surréaliste du roman de Boris Vian. Les moments de jeu et de chant – accompagnés par Loue Echalier au fameux pianocktail – s’articulent parfaitement, de même que s’entremêlent habilement les chansons de Boris Vian et les airs de Duke Ellington.
Ainsi, les musiques, le décor, les costumes et les lumières nous embarquent dans cet univers où chaque scène semble posée dans son écrin. On adore les instants où le jeu se fige tandis que l’écrivain intervient pour commenter ou réfléchir à la suite de son histoire. Et quelques tableaux sont de toute beauté. On pense notamment à la scène dans laquelle Colin multiplie les allers-retours chez le fleuriste pour couvrir – recouvrir même, littéralement – Chloé de fleurs, dans l’espoir de la sauver du nénuphar qui pousse dans son poumon…
Cette pièce est pleine de de vie, de fraîcheur, de poésie et d’élégance. Ça swing, ça pétille, ça tourbillonne. Et, de la même manière que l’excellente adaptation de l’œuvre de Maupassant, Une vie, avec Véronique Boutonnet & Victor Duez, découverte il y a quelques jours, cette adaptation de L’écume des jours nous a donné envie de nous replonger dans la lecture du livre !
Et elle nous a aussi donné envie de découvrir l’autre distribution de ce spectacle, que l’on ne peut que suspecter d’être aussi talentueuse !
L’écume des jours, de Boris Vian & Claudie Russo-Pelosi , mis en scène Claudie Russo-Pelosi, avec Aurélien Raynal ou Quentin Bossis, Loue Echalier ou Marie Jouhaud, Ethan Oliel ou Baptiste Hérout, Lou Tilly ou Léa Philippe, Charles Garcia ou Basile Sommermeyer, Claudie Russo-Pelosi ou Sara Belviso , Stéphane Piller ou Adelin Tirado, Émilie Le Néouanic ou Aurore Streich, Adrien Grassard ou Aymeric Haumont, se joue jusqu’au 16 octobre 2022, du mercredi au samedi à 19h et le dimanche à 16h, au Théâtre du Lucernaire.
[UPDATE 2023] Se joue du 14 juin au 27 août au Théâtre du Lucernaire.
Avis
C'est un réel plaisir de redécouvrir le roman mais aussi les chansons de Boris Vian à travers une pièce si audacieuse et surprenante. Tout y est bien pensé, bien dosé, et rempli de sincérité. Et l'on ne peut que passer un très bon moment, que l'on connaisse le roman ou non.