Après sa très sympathique relecture blaxploitation du western via The Harder They Fall, le musicien-réalisateur Jeymes Samuel revient avec une relecture du film biblique. Présenté au London Film Festival, Le Livre de Clarence lorgne vers les Monty Python pour proposer un péplum révisionniste aussi drôle qu’incarné !
Jeymes Samuel a un parcours relativement atypique avant d’arriver sur Le Livre de Clarence (The Book of Clarence). Producteur et musicien sous le nom de The Bullits, ce dernier est arrivé dans l’industrie cinématographique en travaillant sur la BO de Gatsby le Magnifique signé Baz Luhrmann. Cinéphile, on lui doit aussi un étonnant court-métrage avec They Die by Dawn, dont la profession de foi se concrétisera avec The Harder They Fall sur Netflix.
Un western sauce blaxploitation fait avec soin et déférence, tout en usant de personnalités noires ayant réellement existé pour infuser son récit. Il n’est donc pas étonnant de le retrouver sur Le Livre de Clarence, dans une relecture allant bien plus loin dans le registre comique !
Jeezus Christ !
Nous sommes en l’an 33 à Jérusalem : alors qu’un certain Jésus de Nazareth est le prophète de Dieu, capable d’accomplir d’innombrables miracles, le voleur Clarence (Lakeith Stanfield) va y voir l’aubaine pour s’affranchir de ses dettes. En effet, contraint de rembourser le redoutable Jedediah le Terrible (et désireux de gagner le cœur de sa sœur), Clarence va s’aider de son acolyte Elijah afin de se faire passer pour le nouveau Messie.
Mais évidemment, la supercherie ne sera pas du goût de tout le monde, que ce soient les Apôtres du Christ, ou bien les troupes romaines commandées par Ponce Pilate (James McAvoy). S’ensuivra donc un périple avant tout intérieur pour Clarence, opportuniste de première qui ne croit pas au divin, mais fera tout pour acquérir richesse et stabilité pour sa famille.
Le Live de Clarence : entre déférence classique et fun post-moderne
Aborder la religion ou un récit biblique pourrait sembler un brin sensible même aujourd’hui. Pourtant c’est oublier que les Monty Python ont par le passé érigé de vrais films cultes explorant notre glorieux passé sur un ton satirique (La Vie de Brian, au plot de base pas si éloigné). Et si Le Livre de Clarence s’inscrit évidemment dans cet héritage, Jeymes Samuel n’oublie pas de traiter sérieusement ses personnages et son histoire, tournant à Matera pour 40M de dollars (une aubaine, tant les lieux d’Italie semblent ne pas avoir bougé depuis des temps immémoriaux).
D’abord (et majoritairement) fun, Le Livre de Clarence n’hésite pas à embrasser tout un imaginaire cinéphilique pour mieux en jouer : Les 10 Commandements, Samson & Delilah et même Ben-Hur sont cités pour mieux nourrir le parcours de Clarence, parsemé de morceaux de péplum ou d’iconographie religieuse (combat de gladiateur, course de char avec Marie Madeleine, baptême avec Jean le Baptiste, crucifixion par l’Empire romain..).
Mais plutôt qu’une récupération gratuite sans âme de motifs galvaudés, Jeymes Samuel infuse au Livre de Clarence une énergie pop proche du cinéma d’exploitation. Telle une profession de foi vis-à-vis d’un matériau de base sacré, le film n’hésite pas à faire disjoncter la logique carthésienne que l’on prête souvent aux films se déroulant dans l’Antiquité, de manière surréaliste ou humoristique.
Ainsi, une scène de danse chorégraphiée en boîte de nuit succédera à une séquence en apesanteur après prise de majijuana, tandis que le fantastique a autant sa place dans la manière de re-raconter un mythe. Une manière post-moderne bien pertinente dans la manière de questionner la foi et les idoles antiques (à l’instar d’un Omar Sy invincible en Barabbas).
La grandeur vient des débuts modestes
Là encore, Le Livre de Clarence se fait plaisir avec une jubilation déployée dès qu’interviendra un hilarant caméo de Benedict Cumberbatch, élément justifiant à lui seul l’apport de la blaxploitation dans le métrage, et pointant du doigt des siècles de Jésus européocentré (ou même de représentation dans le péplum). L’exercice d’équilibriste sera sans doute un peu moins tenu sur le final du métrage, en embrassant frontalement le miracle survenant par la foi.
Heureusement loin d’être prosélyte. Le Livre de Clarence se veut avant tout un solide récit universel sur ce que cela signifie de croire en quelque chose de plus grand que soi, impeccablement porté par l’excellent Lakeith Stanfield (Atlanta, Get Out, Judas & The Black Messiah). Et si le fait d’avoir une prestation d’acteur complète (aussi à l’aise dans le caustique, le sardonique, la malice ou le drama pur) ne suffisait pas à rendre son anti-héros attachant, Jeymes Samuel s’entoure également d’un casting de talent (RJ Cyler, Anna Diop, Alfre Woodard, David Oyelowo, Michael Ward..) pour camper des personnages plus ou moins connus.
On retiendra également un James McAvoy au rôle de moindre envergure, mais là encore bien amené dans sa propension à faire de Le Livre de Clarence une histoire qui trouve toujours une résonnance contemporaine, via le conflit idéologique/ethnique/religieux central qui infuse finalement toute notre Histoire.
À l’aise dans tous ses registres, Le Livre de Clarence parvient également à trouver sa propre voie via une très bonne BO opératique signée Jeymes Samuel lui-même, usant autant d’un score orchestral que de chansons supportant les enjeux du récit. Bref, une nouvelle réussite pour le réalisateur, dont on a déjà hâte de savoir quel genre il investira ensuite !
Le Livre de Clarence sortira au cinéma le 20 mars 2024 et sur Prime Video le 16 octobre.
avis
Avec Le Livre de Clarence, Jeymes Samuel signe un péplum biblique révisionniste savoureux à la sauce blaxploitation. N'oubliant pas de raconter un récit universel inspirant au milieu de son dynamitage post-moderne des codes du genre, on tient là une nouvelle réussite à la fabrication modeste et soignée, sublimée par un script malin, ses ruptures de ton efficaces, sa BO de qualité et son casting (Lakeith Stanfield !) de talent !