Porte des Lilas se déploie le Grand Cirque Électrique au chapiteau rouge vif. A l’intérieur se dresse la nouvelle création du Théâtre de la Suspension, Le Grand Œuvre de René Obscur. Un spectacle obscurément difficile à appréhender tant son auteur, Bertrand de Roffignac, s’est laissé porter par son imagination et sa folie.
Délire personnel ? Euphorie collective ? Quels mots seraient aptes à décrire une telle œuvre ? Celle d’un mégalo qui voit dans son art la possibilité de réformer une société entière, de mener les individus à la jouissance ultime, à la fois sexuelle et spirituelle. René Obscur (Bertrand de Roffignac) est un artiste à la folie destructrice, qui voit dans la caméra l’outil parfait pour créer une “expérience pornographique révolutionnaire” afin de “bouleverser l’équilibre des valeurs morales”. Lui, n’a aucune morale, son désir de réaliser ses films est tel que ses limites sont abolies. Il veut devenir ce Prométhée qui a donné aux Hommes le feu, il veut être celui qui marquera les mémoires à tout jamais, qui captera de son œil les flammes ardentes et les aspirations enfouies.
Une caméra organique
Corps calcinés, visages tuméfiés, globe oculaire arraché, organes vidés, l’horrible invention de René Obscur ne possède pas de barrières. Cette création charnelle, cet œil maudit détruit pour mieux transcender. Les morts s’amoncellent, les disparitions se multiplient, la destruction est perversion, transformation, déstructuration. Son but ultime ? Atteindre une « perfection psycho-sensuelle », un regard sur le corps qui n’a encore jamais été porté. A l’image de Mark Lewis dans Le Voyeur de Michael Powell, René jubile à l’idée de faire le film suprême, de porter à l’écran ses fantasmes pédophiles. Sa rencontre avec Ange Cratère (Xavier Guelfi), fils héritier d’une immense fortune, fan invétéré de cet idole ignorée, lui permettra enfin de mettre son œuvre à exécution.
Autour de cette caméra organique se dresse un monde détraqué. Les acteurs acceptent d’être filmés par cet objet informe capable de vous défigurer, voire de vous tuer. Les scènes captées touchent à l’absurde, la société est tournée en dérision, la politique, annihilée. On accède aux films finaux, non pas grâce aux images mais par les mots. Ils les décrivent et le pouvoir de l’imagination prend la relève, les rendant plus vrais que jamais. Tout est suggestion, caricature et du malaise naît le rire. L’œuvre de René se mêle au spectacle jusqu’à l’indissociable. Ils se fondent ensemble pour ne faire plus qu’un, jusqu’à ce que la folie du personnage devienne la source même de la pièce.
Le spectacle polymorphe de René Obscur
L’ambiance du spectacle se manifeste dès l’entrée du public. Sur le plateau se déploient aux deux extrémités des échafauds sur lesquels apparaissent les instruments : batterie, clavier, guitare, … En fond de scène se dresse une immense structure murale constituée de six fenêtres au style gothique. Au centre, un canapé avec un être couvert de plâtre blanc et tout autour de lui, des aspirants aux yeux phosphorescents. Et il y a ces corps noircis par la suie, totalement calcinés qui ne bougent plus. Sont-ils morts ? C’est dans cette étrange atmosphère que débute la pièce. La musique retentit et les corps brûlés se mettent en mouvement. Ils se rejoignent dans un ballet tribal, animal, rythmé par le martellement de la batterie.
Les corps des comédiens deviennent un moyen ultime d’expression qui atteint son apothéose lors des chorégraphies de danse et de voltige. Ils se déplacent avec légèreté, défiant la gravité, multipliant les portés. On laisse de côté les mots, ne reste que la beauté de la gestuelle, intensifiée par la musique live et les lumières. L’aspect charnel reprend alors le dessus et se déploie.
Un peu trop de tout ?
Le Grand Œuvre de René Obscur a peut-être vu un peu trop grand, trop énigmatique. On reste bouche bée face à son esthétique, à sa puissance, à sa créativité mais on se retrouve également devant un trop. Le sens du récit se perd dans des tirades alambiquées qui deviennent difficiles à suivre. Le jeu excessif de comédiens manquent parfois de nuances, et ce vacarme finit par l’emporter sur le reste. Malgré tout, l’œuvre est d’une inconditionnelle originalité et sait combler son spectateur mais elle manque peut-être d’une pointe de finesse.
A travers Le Grand Œuvre de René Obscur, Bertrand de Roffignac offre un spectacle à la portée politique et philosophique importante. Il questionne le monde qui nous entoure par le biais de la pornographie et de l’art. Il donne naissance à une pièce foisonnante qui ira jusqu’au bout.
Le Grand Œuvre de René Obscur est un spectacle à découvrir au Cirque Électrique du 12 au 24 septembre.
Avis
Le Grand Œuvre de René Obscur est un spectacle polymorphe révolutionnaire. Une création à l'esthétique singulière qui plonge dans la folie d'un réalisateur souhaitant créer une œuvre pornographique ultime. Une plongée audacieuse et déjantée qui se perd un peu dans le "trop".