La Nuit des Maléfices intronise le genre du folk horror et se déguste aujourd’hui comme pièce angulaire de l’histoire du cinéma d’horreur.
En 1971, le réalisateur britannique Piers Haggard effectue sa première incursion dans l’horreur avec La Nuit des Maléfices (Blood on Satan’s Claw pour sa version originale). Par là même, il institue un nouveau genre qui puise son inspiration dans les mythes folkloriques locaux, le folk horror. De retour dans sa campagne anglaise natale, le cinéaste donne vie au scénario d‘horreur surnaturelle du jeune écrivain Robert Wynne-Simons. Bien que la chasse aux sorcières ait atteint son apogée au XVIIe siècle, la jeune Angel Blake joue aux prolongations en ce XVIIIe siècle. La jeune fille, sous ses airs angéliques, pactise avec le diable et corrompt une à une les jeunes âmes de son village. Possédés par le mal, les jeunes adultes se transforment peu à peu à l’image du vilain dans ce film hommage à la littérature fantastique anglaise du XVIIIe siècle.
Promenons nous dans les bois
Ce premier essai dans le registre de l’horreur en porte les stigmates. La Nuit des Maléfices dénote des codes usuels de l’épouvante pour se rattacher davantage au genre du drame. La caméra se meut peu et laisse la part belle aux plans d’ensemble sur les paysages verdoyants. Et le recours au gros plan sur les visages, au lieu de susciter l’horreur sur un élément dégoûtant, sert plutôt le développement des personnages. La Nuit des Maléfices se dote en effet de dialogues plus abondants et profonds que nombre de films d’horreur. À la vue des thèmes symboliques brassés par cette irruption soudaine du mal, difficile de ne pas penser au Ruban Blanc de Michael Haneke.

À l’instar de cette Palme d’Or 2009, La Nuit des Maléfices entend susciter l’indignation en nous confrontant à l’incarnation du mal et ses ravages sur les âmes pures. Et ce, toujours en saupoudrant de l’esthétique mystique et gothique des romans fantastiques anglais. Cela dit, bien que le film tourne ses scènes de rituels sacrificiels et ses orgies sataniques sur de vraies ruines, il éprouvera quelques maux à cultiver une ambiance inquiétante. Les couleurs printanières et la pesanteur de la caméra instaurent, malgré elles, une atmosphère soporifique. En sus, le micro-budget du film et la censure toujours très restrictives ont raison du titre. Il ne s’écoule définitivement pas beaucoup de sang des griffes de Satan.
… tant que Satan n’y est pas
Satan reste en effet discret et ses disciples sont souvent sacrifiés avant d’avoir commis le moindre péché. Pour cause, La Nuit des Maléfices se scinde en trois actes distincts, car le projet initial prévoyait une mini-série en trois épisodes. La fusion des épisodes en un seul film induit une certaine raideur entre les actes. Malgré le fait que les événements se suivent, l’univers n’est pas creusé optimalement, comme les relations entre les personnages qui demeurent superficielles. Hormis le noyau central formé par Angel Blake (Linda Hayden), Ralph le paysan qui découvre la première griffe de Satan dans son champ (Barry Andrews), le juge (Patrick Wymark) et le révérend (Anthony Ainley), les personnages secondaires ont tendance à ne figurer que sur un seul acte.

Ce scénario escarpé est cependant camouflé par des acteurs convaincants qui évoluent dans une atmosphère persuasive. Le film a très bien vieilli, car il a été tourné dans un vrai village. Les décors n’ont pas perdu une once de leur charme, à l’inverse du carton pâte des décors de studio de nos jours complètement dépassé. Seules de rares scènes apparaissent aujourd’hui bien kitsch, comme l’élimination du malin. Bien qu’audacieux par son montage saccadé, le procédé accuse l’âge. La bande-son aussi s’attache aussi à faire revivre l’ambiance d’époque et conserve son charme. Elle convoque des instruments folkloriques stridents pour créer un thème angoissant intemporel qui annonce particulièrement bien la venue du malin.
Le ruban de Satan
La Nuit des Maléfices est un film particulièrement évocateur à plusieurs égards. Évocateur des premiers pas dans l’horreur de Piers Haggard, qui insuffle à ce titre une atmosphère âpre et pesante qui le raccroche plus au drame de seconde zone. Tandis que la censure cinématographique du temps le dissuade d’autant plus de s’aventurer dans l’hémoglobine. L’horreur est donc psychologique, sous-jacente, incarnée dans la figure mi-ange mi-démon d’Angel Blake. Une pièce à voir pour découvrir la triade capitoline du folk horror, aux côtés de The Wicker Man et Le Grand Inquisiteur, plutôt que pour assouvir une quête d’épouvante.
La Nuit des Maléfices, initialement sorti en 1971, ressort en Blu-Ray et DVD le 11 avril 2025 par les Éditions Rimini. Cette dernière comprend en bonus un entretien de 42 minutes d’Olivier Père, directeur de l’unité cinéma d’Arte France, et un livret de 24 pages signé du journaliste Marc Toullec.

Avis
La Nuit des Maléfices porte une atmosphère âpre et pesante qui le raccroche au drame et à l'horreur psychologique, plutôt qu'au registre de l'hémoglobine, comme le présupposait son titre original. Cette horreur incarnée dans la figure d'Angel Blake se regarde aujourd'hui comme une pièce d'histoire intéressante dans le développement des sous-genre de l'horreur.