Après On l’appelle Jeeg Robot et Freaks Out, Gabriele Mainetti revient avec La Città Proibita (The Forbidden City), présenté à L’Étrange Festival. Le cinéaste italien poursuit un audacieux mélange des genres, entre drame familial romain et film d’action HK, pour notre plus grand bonheur. Forza !
La Città Proibita pourrait sembler être une nouvelle sortie dans le genre actioner Hong-kongais, pourtant il s’agit bien d’un film européen ! Et pas n’importe lequel : c’est le tout nouveau long-métrage de Gabriele Mainetti, italien ayant émergé grâce au succès de On L’appelle Jeeg Robot et Freaks Out. Un amoureux du cinéma de genre, ayant déjà exploré le genre super-héroïque via des budgets ridicules (entre 1 et 5 millions d’euros), pour des résultats des plus généreux !
Mainetti aux manettes
Et s’il faut toujours attendre plusieurs années avant d’obtenir une nouvelle œuvre de sa part, La Città Proibita (The Forbidden City) se présente comme une incursion totalement inédite pour le réalisateur. Féru de films d’arts martiaux, ce dernier s’est lancé le pari fou de l’incorporer à sa propre sensibilité. Après moult visionnages et castings, Mainetti a pu emballer son film, débutant en 1995 dans une Chine rurale alors encore sujette à une politique stricte d’enfant unique pour tout couple. La jeune Mei vit ainsi cachée, à l’opposé de sa soeur Jun !
De nos jours, Xiao Mei (Yaxi Liu) se retrouve à infiltrer un réseau de prostitution tenu par une triade chinoise, dans le but de retrouver sa sœur disparue. Quelques instants plus tard, le spectateur découvre que l’établissement (pittoresque dans sa décoration et son iconographie) se situe en réalité dans l’arrondissement Esquino à Rome !

Le début d’une quête qui se mue en vengeance, tandis que La Città Proibita parvient à déjouer nos attentes de manière aussi surprenante qu’admirable ! En effet, porté par l’incroyable présence de son actrice principale (doublure cascades ayant travaillé avec Jackie Chan), l’introduction nous emmène dans un maelström d’action ciselée à la perfection, impeccablement montée et chorégraphiée de manière percutante. Cela faisait depuis Gareth Evans qu’on avait pas vu un cinéaste occidental s’accaparer les codes du film d’action asiatique, et les retranscrire sans aucun bout de gras !
Baston sino-romaine
D’un cage d’escaliers à une cuisine, la caméra se positionne toujours en variant son axe, dans une limpidité absolument admirable n’entachant jamais son dynamisme le plus pur. Le féru de Police Story 3 ou Enter the Dragon est dans des chaussons confortables, avant que Gabriele Mainetti ne mette le holà ! Non, La Città Proibita ne sera pas juste un plaisir gonzo de cinéphile, tandis que la narration bifurque vers le point de vue de Marcello (Enrico Borello).
Cuisinier du restaurant familial Alfredo, Marcello va se retrouver malgré à lui à chercher son père, disparu dans les mêmes conditions que Yun. Deux mondes qui s’opposent, obligeant ainsi Mei et le cuistot dans l’ombre de son oncle Annibale (un truculent Marco Giallini en mafioso à la petite semaine) à collaborer. Et c’est dans cette rencontre improbable que La Città Proibita tire sa force, étirant sa substantifique moelle dans un choc des cultures faisant par instants penser à Do The Right Thing.

Une guerre d’égo entre deux restaurants, deux criminels et donc deux faces même du monde (l’Orient et l’Occident). Conscient des symboles avec lesquels il joue, Gabriele Mainetti délaisse ensuite un tantinet l’action pour mieux exploiter le chamboulement idéologique de ses deux protagonistes. Mei et Marcello s’imposent non seulement comme des archétypes renversés (les acteurs sont très bons et amènent une fraîcheur salvatrice), mais également comme la personnification du propos socio-politique du métrage.
N’hésitant jamais à changer de ton quitte à en laisser sur le carreau de par sa tournure, La Città Proibita se meut à mi-parcours dans la mouvance totale du cinéma de Mainetti. Rome est toujours le théâtre des évènements (toutes les routes et toutes les histoires y mènent visiblement), où des personnages parviennent à se révéler via le contact à autrui, et ce face à l’adversité. Une certaine idée du progressisme, face à des mœurs nombrilistes obsolètes!
Parfois foutraque mais généreux
On regrettera peut-être que la rythmique du métrage perde de son efficacité et manque de liant narratif/émotionnel à mi-parcours, tandis que les deux facettes de La Città Proibita (le point de vue plus mélodramatique de Marcello et celui plus belliqueux de Mei) peinent à trouver la congruence dramaturgique parfaite. Pour autant, Gabriele Mainetti compense ses quelques heurts par une générosité de chaque instant, doublée d’une réalisation maîtrisée.

C’est simple, outre une direction d’acteurs sans faille, la mise en scène de La Città Proibita se révèle aussi brillante dans l’action que savoureuse dans ses instants de légèreté. On pense par exemple à cette escapade romantique en Vespa, ou ces scènes de comédie intra-familiales. Mieux : digérant ses influences (ce combat final dans la brume est de toute beauté), Mainetti parvient à délaisser l’action, jouant avec la nourriture comme la clé de compréhension à toutes les problématiques culturelles, relationnelles, sociales et dramatiques synthétisées dans son histoire.
Un élément qui aurait mérité d’être plus approfondi (à l’image du lien entre les 2 héros), mais qui a le mérite d’être présent, d’être traité, et surtout d’être amené avec une cohérence qui n’a d’égale avec la sincérité caractéristique du cinoche de Mainetti. On en sort de là avec la sensation de voir un spectacle certes perfectible dans ses coutures, mais qui n’oublie pas de raconter un récit authentique de par ses racines multi-culturelles. Tout cela pour 16 millions d’euros en plus : meraviglioso !
La Città Proibita n’a toujours pas de date de sortie en France.
avis
Avec La Città Proibita, Gabriele Mainetti livre peut-être son geste de cinéma le plus surprenant. Convoquant les extrêmes du cinéma martial oriental au mélodrame occidental, le cinéaste italien parvient dans un exercice aussi généreux que sincère à une diégèse autant cinématographique que sociale sur les multiples influences culturelles qui charrient le monde d'aujourd'hui. Une réussite tout simplement !