Kai, l’autostoppeur à la hachette pourrait se contenter de s’ajouter au catalogue déjà bien fourni des documentaires « true crimes » de Netflix. Pourtant, ce faux héros typiquement américain s’avère être un sujet bien plus riche que prévu.
Kai, l’autostoppeur à la hachette est un buzz tout droit venu des Etats-Unis dont la planète Internet s’est emparé, pour le muer en héros de la pop-culture. Pourtant, rien ne présageait un tel destin à ce vagabond assommant à coups de hachettes un homme blanc, en pleine tentative de meurtre raciste. Et ce documentaire de s’éloigner des tapageurs formats de documentaire « true crimes » que la plateforme chérit tant pour se muer en analyse cynique d’un pays en quête perpétuelle de buzz. Parce que la proposition de Colette Camden dépasse assez aisément cette ambition pour se transformer en une critique aboutie des médias, et de tout un système de célébrité aussi expéditif que complètement déraisonné.
Du vagabond au vagabuzz
Kai est donc un brave autostoppeur dont l’apparente sympathie après un acte de bravoure, néanmoins très violent, a déchaîné les fougues de tout un pays. Après une apparition sur une chaine de télévision locale, le buzz est donc lancé, à coups de memes, de tweets et de déclarations d’amour enflammées, et le vagabond quitte donc la rue avec un projet d’émission de télé-réalité à la clé et une invitation chez Jimmy Kimmel. En quelques jours, l’Amérique se prend donc de passion pour des gens qu’elle ignore, et les producteurs des Kardashian souhaitent donc porter leur projecteurs sur l’exact opposé de cette famille américaine richissime pour s’intéresser aux laissés pour compte. Et déjà, une odeur de souffre s’instille.
Parce que les acteurs de cette opération marketing, témoignant tous à visage découvert, incarnent brillamment l’inconséquence totale de la création d’une star, passant ainsi de l’émerveillement enfantin, sans aucune remise en question ni recherche, aux coupables d’une machinerie aussi dangereuse qu’opportuniste. Et le buzz se transforme alors en cruel fait-divers macabre, où les masques bienveillants tombent tous un à un pour dévoiler le vrai visage d’une industrie du spectacle aussi carnivore qu’irresponsable. Et c’est là que réside tout le passionnant projet de ce Kai, l’autostoppeur à la hachette, rejoignant la remise en question bénéfique qu’abordait plus subtilement la série Dahmer – Monstre : L’histoire de Jeffrey Dahmer.
(Dé)construction glaçante
Kai, l’autostoppeur à la hachette rejoint ainsi la toute aussi fouillée série Grégory sur une machinerie médiatique avide d’images fortes au mépris de toute déontologie journalistique. Une critique passionnante sur la fabrication d’un buzz, comme celle d’enfants s’emparant d’un jouet rare et authentique avec des millions de dollars à la clé, jeté aux ordures avec la même absence totale de réflexion. Parce que Kai est l’incarnation parfaite d’un phénomène de foire que l’on jette sur la place publique sans ne s’intéresser ni à son noir passé, ni aux contours bien plus macabres d’une personnalité pas si héroïque qu’elle en a l’air.
Le documentaire de Colette Camden croque ainsi un noir tableau, aussi fascinant que répugnant, d’une société en totale perte de repère moraux, avide de succès faciles au mépris de victimes et d’individus, mais uniquement au service d’aveuglants projecteurs et d’argent facile. Une (dé)construction glaçante, et bénéfique, à l’heure où la célébrité facile se compte en millions d’abonnés et en taux de likes et de vues, en mettant au placard toute analyse critique d’individus vendant leurs âmes à coups de dollars, au mépris de toute règle éthique, entraînant nombre d’escroqueries et de victimes, dont les projecteurs semblent néanmoins et injustement bien moins friands.
Kai, l’autostoppeur à la hachette est disponible sur Netflix.
Avis
Kai, l'autostoppeur à la hachette dépasse aisément la case documentaire "true crime" dont Netflix est très friand pour se muer en une déconstruction salutaire du buzz et d'une célébrité facile amenée par une société du divertissement en totale perte de repères moraux.