Parmi toutes les très bonnes pioches cinématographiques, Juré n°2 fait presque office de sortie en catimini par la Warner. Pourtant, ce petit thriller juridique cache en réalité le probable dernier film du grand Clint Eastwood à la réalisation. Un exercice appliqué, pour ce qui est un des évènements de 2024.
Juré n°2 pourrait passer pour un énième film de procès sorti en douce, mais est pourtant réalisé par un vieux monsieur de 94 ans ! Et pas n’importe lequel : le légendaire Clint Eastwood ! L’acteur de l’Homme Sans Nom et Dirty Harry a en effet eu une carrière de réalisateur plus que conséquente (Sur la Route de Madison, Impitoyable, Million Dollar Baby, Gran Torino..), nous ayant autant abreuvé de réussites (les récents La Mule ou Le Cas Richard Jewell) que de déceptions (Le 15h17 pour Paris, Cry Macho).
Dernier clap pour Clint Eastwood ?
Alors qu’on ne sait toujours pas si ce bon vieux Clint va définitivement tirer sa révérence, Juré n°2 pourrait bien être l’ultime baroud d’honneur d’un cinéaste fordien à l’ancienne, ayant toujours traité les dilemmes entre justice et morale dans sa filmographie. Cela tombe bien, le scénario de Jonathan Abrams embrasse à bras le corps cette thématique !
Juré n°2 nous emmène donc à Savannah en Géorgie (précédent lieu de tournage de Minuit dans le jardin du bien et du mal), au sein du procès traitant du meurtre de Kendall Carter. Son petit-ami au passé violent est le principal suspect, mais tandis que toutes les preuves le pointent comme responsable, le film nous présente Justin Kemp (Nicholas Hoult) : protagoniste du récit et désigné comme un des 12 jurés de l’affaire, ce futur père de famille est en réalité responsable de l’homicide involontaire lors d’un accident de voiture nocturne.
Un dilemme moral va donc peu à peu se mettre en place et gagner de l’ampleur, tandis que Justin sera tiraillé entre se livrer (et donc innocenter le suspect principal), ou bien se protéger quitte à condamner un innocent. C’est dans ce jeu d’équilibriste moral que Juré n°2 tire sa réussite, rabattant immédiatement les cartes du film de procès à la Le 7e Juré ou 12 Hommes en Colère (on y pense forcément via quelques séquences de débats voire quelques plans équivoques) pour mieux créer un thriller gouverné par ses questionnements quasi existentiels.
Un imposteur parmi les Jurés
Car oui, Juré n°2 abandonne tout artifice de réelle tension, préférant déployer sa gravitas dans des interactions entre personnages (il faut noter l’excellent casting, allant de J.K Simmons à Chris Messina en passant par Kiefer Sutherland) nous renvoyant à nos propres questionnements et positionnements de spectateur.
Justin a beau être un homme bon voulant être là pour son futur enfant, sa propension à vouloir cacher la vérité le rend automatiquement moins binaire que prévu. Même approche concernant le personnage de procureur joué par l’excellente Toni Collette : d’abord incarnation d’une justice US implacable, l’intrigue et la quête de vérité va peu à peu la faire glisser de manière parallèle à Justin.
Réflexion sur l’impartialité
Des zones de gris qui sont aussi admirablement personnifiées par les autres jurés. Certes personnages plutôt secondaires (mais immédiatement incarnés, comme dans Sully de Eastwood), chacun dans ses positions soit-disant neutres renvoie à la problématique d’une impartialité désormais impossible, alors que des facteurs internes comme externes (vécu d’un personnage, influence de la fiction sur nos ressentis..) viennent irrémédiablement biaiser notre jugement.
On regrettera peut-être une mise en scène académique (utilisation de flash-back Rashomon-esque compris) qui empêche Juré n°2 d’offrir un degré de lecture supplémentaire. Mais c’est dans cette épure doublée d’un regard toujours aiguisé sur son sujet qu’Eastwood convainc, questionnant son auditoire sans nous alourdir de réponses toutes faites.
Alors que Juré n°2 déroule son récit de manière de plus en plus convaincante, c’est réellement dans son ultime confrontation (dont une scène lourde de sens gouvernée par une statue illustrant la balance de la justice) que le métrage nous cueille, jusque dans une ultime séquence en suspension pouvant être la dernière injonction ouverte d’un Clint Eastwood n’ayant plus rien à prouver. Bref, une réussite à la fois humble, et terriblement ample dans ce qu’elle a à proposer : chapeau pour un vieille légende du cinéma !
Juré n°2 est sorti au cinéma le 30 octobre 2024
avis
Réflexion sur la notion d'impartialité d'une justice dont il est de plus en plus difficile de sonder les arcanes, Juré n°2 cache derrière son intrigue de petit thriller juridique une absence de manichéisme et un intelligent regard sur ses personnages en zone grise. Clint Eastwood accouche ainsi d'une réussite qui embrasse ses thématiques fétiches (la vérité, la justice et le dilemme moral qui en découle) derrière son académisme formel.