Jacques de Bascher est un seul-en-scène captivant qui nous plonge dans l’intimité des deux plus grands génies de la mode.
Jacques de Bascher est connu pour avoir été le compagnon de Karl Lagarfeld et l’amant d’Yves Saint Laurent. Mais lui, qui était-il ? Et que reste-t-il de lui ?
Mis en lumière à la mort de Karl Lagarfeld et dans deux biopics consacrés à Yves Saint Laurent, cet homme de l’ombre rencontre enfin la lumière à laquelle il a passé son existence à rêver. Et tandis que nous faisons la connaissance de ce dandy au tempérament hédoniste et irrévérencieux, c’est dans une époque, un milieu que cette pièce nous immerge. Un seul-en-scène enlevé, superbement interprété par Gabriel Marc que nous avons applaudi pour la première fois sur scène avec bonheur !
« Mon œuvre c’est moi, c’est la seule chose que je sais faire. »
Une incarnation vivante et charismatique
Aucun suspense donc : nous avons pris un plaisir fou à découvrir cette pièce ! Nous n’avons pourtant aucun attrait particulier pour le monde de la mode, et ce Jacques de Bascher nous disait vaguement quelque chose, sans nous intéresser plus particulièrement que ça. Mais la curiosité est parfois très joliment récompensée… Ainsi, nous avons immédiatement été charmés par ce spectacle aussi débordant de vie et d’audace que son interprète.
Les premiers instants donnent d’ailleurs le ton et le rythme. Depuis sa baignoire sur laquelle trône un flacon du n°5 de Chanel, l’homme sirote avec nonchalance un verre de whisky. Sur un écran derrière lui, des images de soirées défilent dans un léger flou. Bienvenue dans le monde de la mode, ses mondanités, ses excès. Bienvenue aussi dans ces années 70 & 80 où régnait une liberté et une insouciance que le SIDA aura tôt fait de mettre à mal. Le résumé d’une trop courte vie, la sienne.
« Certains diront que je n’ai aucune morale, c’est faux. Je n’ai juste pas la même qu’eux. »
À peine entre-t-il en scène que nous sommes captivés par cet homme raffiné et charismatique, tout en contradictions, qui manie les mots avec une finesse jouissive. Avec son long imper en cuir, ses cheveux plaqués en arrière et sa moustache très « d’époque », Gabriel Marc incarne un Jacques de Bascher magnétique. On le regarde se mouvoir sur scène avec la même attention que s’il se livrait à un défilé haute couture. Et il y a d’ailleurs un peu de ça il faut dire ! Ce qui rend le spectacle d’autant plus plaisant.
Une création pleine de style
En effet, l’esthétique est soignée. Et la mise en scène de Guila Braoudé, astucieuse, se passe volontiers de changements de décors tout en nous donnant précisément l’effet inverse ! Ainsi les changements de lieux, de temps ou d’atmosphère se font au rythme des jeux de lumières et des changements de costumes qui suffisent à nous faire passer de l’appartement de Jacques à l’atelier de Karl Lagarfeld, ou d’une boîte de nuit newyorkaise à la chambre d’Yves Saint Laurent. Une vraie réussite !
Le texte est lui aussi un régal de finesse, et Gabriel Marc se l’approprie avec une aisance et une insolence si pleinement assumées qu’il en devient vite attachant. Le comédien est éblouissant de talent ! On est suspendu à son jeu passionné et généreux comme au récit de cette vie de débauche et de paillettes, à cette quête presque désespérée d’amour, de reconnaissance. Ce Jacques de Bascher, dont l’extravagance n’a d’égal que la sensibilité, nous séduit, nous amuse, nous surprend, nous bouscule, nous touche.
Les histoires d’amour…
À travers les souvenirs et les confidences qu’il éparpille, on suit sa relation amoureuse tumultueuse de 20 ans avec Karl Lagarfeld. Relation qui se veut platonique, faite d’indépendance, de liberté ; d’un épanouissement sexuel qui se trouve ailleurs, dans les bras d’Yves Saint-Laurent notamment. Une relation qui semble convenir ainsi aux deux hommes… mais qui prendra finalement des airs de passion destructrice pour celui qui ne parvient pas à trouver sa place et que la rumeur se plait à qualifier de gigolo.
Et c’est notamment à travers les cassettes audios qu’il enregistre régulièrement pour le créateur allemand que son amour jaillit en même temps que son mal-être. Cette angoisse latente de n’être personne apparaît comme le fil rouge de son existence. Tout plutôt qu’être oublié ! Mourir même ! C’est ce qui lui arrivera d’ailleurs, bien trop tôt, à l’âge de 33 ans. Après cinq années de maladie durant lesquelles Paris lui tournera le dos, celui qui enflammait les nuits de la capitale sera emporté par le SIDA en 1989. Mais pas par l’oubli. Voilà qui le réjouirait !
Jacques de Bascher, de et avec Gabriel Marc, mise en scène de Guila Braoudé, se joue jusqu’au 27 mars, les lundis à 19h & les dimanches à 20h30, au Théâtre de la Contrescarpe.
Avis
Il y a du rythme dans cette existence sulfureuse aux airs de tragédie. Celui qui fut la plus grande histoire d'amour du très solitaire Karl Lagarfeld nous offre à voir un peu de l'existence du grand couturier, et beaucoup de la sienne. Un personnage captivant et attachant, véritable symbole de son époque.