L’homme qui dormait sous mon lit est une fable cruelle et joyeuse sur le sujet des migrants et de leur survie.
L’homme qui dormait sous mon lit est une pièce mordante, pleine d’intelligence et de subtilité, qui aborde avec audace, originalité et humour noir la question des réfugiés et de l’accueil que nous leur réservons.
Des lames de rasoir, des couteaux bien affutés, de l’eau de javel, des sacs pour mettre sa tête dedans… Il y a tout ce qui faut dans cet appartement pour quelqu’un qui souhaiterait mettre fin à ses jours ! Ce n’est pourtant pas faute de lui répéter, mais rien à faire, le réfugié ne veut pas débarrasser le plancher de l’appartement de l’accueillante de son plein gré, au grand désespoir de celle-ci…
« On ne pousse pas les gens par la fenêtre. On les incite – nuance. »
Une dystopie joyeuse
Car certes, dans cette société, héberger un migrant permet à l’accueillante de toucher une allocation, mais s’il se suicide, elle recevra une prime supplémentaire – défiscalisée qui plus est ! Enfin, pour ça, il faudrait que le réfugié y mette du sien !… Et ça ne semble pas gagné. C’est troublant, cruel, et néanmoins très drôle.
On rit parce que la pièce exagère la réalité jusqu’à l’absurde. Elle met en scène ce qui pourrait être une dérive de notre société si nous nous laissions aller au pire qui rôde déjà, comme une menace qui plane. Et elle le fait avec beaucoup d’intelligence et des comédiens délicieusement justes dans une interprétation très corporelle.
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Un brillant exercice de style
Le texte de Pierre Notte est un pur régal et donne à la pièce une formidable dynamique. Il joue avec les mots, la langue, les double-sens, les répétitions, le rythme, et rebondit sans cesse de l’un à l’autre des comédiens. Les dialogues sont cinglants et jubilatoires. Le rire et la réflexion jaillissent d’un même élan, tout comme la tragédie et l’espoir, la cruauté et l’humanité.
« Vous culpabilisez tout le monde avec cette place que vous n’avez pas ! »
Sur un plateau nu et froid, sans accessoire hormis un tabouret de piano, seules des lumières au sol permettent de délimiter les espaces de ce studio devenu étroit pour ces deux colocataires dont les corps et les cœurs se tiennent à distance. Et puis, il y a la modératrice qui se joue de son propre rôle à coup de répliques improbables et désopilantes ! Dans ce rôle, Silvie Laguna apporte une dimension burlesque réjouissante, et explicite la mise en abyme de l’un des plus grands enjeux actuels de notre société.
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Pas si surréaliste que ça…
L’auteur se fout de la bien-pensance et nous confronte à nos hontes, à notre mauvaise conscience, à nos fausses bonnes excuses, à nos préjugés, à nos lâchetés. Ça n’a – en apparence – rien de réaliste, ni dans le jeu ni dans le propos, et pourtant ça pique un peu, sous la surface. Car ça ressemble quand même beaucoup à notre société et à sa manière de bien vouloir de l’autre à condition qu’il ne menace pas trop notre confort personnel, à condition qu’il se fasse oublier. Une générosité en théorie plus qu’en pratique en somme.
Au fond, tout cela nous parle de nous, de notre rapport à l’autre, de nos contradictions, de nos préjugés, de notre impuissance ; de cette peur de perdre qui exclue l’autre ; de notre attachement à tout un tas de choses futiles pourvu qu’elles remplissent le vide et la solitude. Ainsi, l’accueillante s’accroche comme elle peu à ses « merdouilles » tandis que le réfugié cultive son potager sous son lit, seul espace qu’il a pu s’approprier.
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Du rejet à la rencontre
On se régale de voir cette relation évoluer et le rapport de force lentement s’effriter – en même temps que les certitudes – à mesure que l’accueillante sans cœur se trouve confrontée à l’intelligence – qu’elle ne soupçonnait évidemment pas – du réfugié. Ce dernier ne se gêne d’ailleurs pas pour reprendre ses approximations grammaticales ! Un comble non ?!
« Qui sort qui et de quel trou ? » C’est finalement à cette question que l’on pourrait résumer tout le propos de cette excellente pièce qui questionne sans être moralisatrice. Muriel Gaudin et Clyde Yeguete forment une incroyable duo. Et si la fin nous a un peu moins convaincus, elle distille néanmoins une dose d’espoir… peut-être elle aussi un peu surréaliste…
L’homme qui dormait sous mon lit, écrit et mis en scène par Pierre Notte, avec Muriel Gaudin, Silvie Laguna & Clyde Yeguete, se joue jusqu’au 30 janvier 2022 au Théâtre du Rond-point.
Puis en tournée en France.
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