Glenn, naissance d’un prodige retrace l’histoire du destin extraordinaire et tragique d’un des plus grands artistes du 20ème siècle.
Sur Glenn, naissance d’un prodige nous ne savions pas grand chose si ce n’est les critiques unanimes à son sujet, qui ont d’ailleurs aiguisé notre curiosité. C’est donc dans la salle du Petit Montparnasse – où nous avions découvert pour la première fois le chef d’œuvre Adieu monsieur Haffmann en 2018 – que nous nous sommes glissés pour faire la rencontre de ce fameux personnage.
Et le moins qu’on puisse dire c’est que nous n’étions pas seuls ! En effet, après avoir conquis Avignon, c’est à Paris que la pièce fait désormais salle comble. Et pour cause, elle a tout d’une grande. On y découvre le parcours – depuis l’enfance jusqu’à sa mort – d’un génie de la musique, dont les fameuses Variations Goldberg de Bach réaliseront les meilleures ventes de disques classiques de tous les temps. Une histoire passionnante, brillamment mise en scène et interprétée.
Un destin extraordinaire…
Né à Toronto en 1932, Glenn Gloud aime la solitude même s’il se sent parfois un peu trop seul. Ses goûts ne changent jamais, pas plus que ses habitudes. Et c’est avec son piano, dont il commence à jouer à l’âge de deux ans et demi, qu’il noue très vite une relation intime. Doté de l’oreille absolue, son talent et sa manière pleine de liberté de jouer sont très vite remarqués. Par sa mère d’abord, qui voit en son jeune prodige de fils l’occasion de réaliser ses propres rêves perdus, jusqu’à en faire une véritable obsession.
« – Que disent vos professeurs quand vous jouez comme ça ?
– Ils ne disent plus rien, ils écoutent. »
Et c’est à l’occasion d’un récital en public à l’âge de 15 ans qu’il rencontre un impresario qui l’accompagnera sur le chemin d’un succès mondial encore aujourd’hui inégalé. Mais le bonheur n’est pour autant pas au rendez-vous. Car sa vie privée est totalement inexistante, incapable qu’il est de tisser le moindre lien amoureux. Quant à sa carrière, elle ne se passe pas vraiment comme prévu…
… et tragique
En effet, sa personnalité Asperger et hypocondriaque font de chacun de ses concerts une véritable souffrance. Si bien qu’à 32 ans, il prend la décision de ne plus se produire en public et de ne plus se consacrer qu’aux enregistrements studio. Une décision qui l’amènera à se refermer un peu plus sur lui-même et sur ses névroses.
À mesure qu’on les découvre, on s’attache à ces personnages qui aiment et accompagnent Glenn chacun à leur manière, parfois maladroite, parfois discrète, d’autres fois envahissante. Certains vont jusqu’à y sacrifier leur propre existence, comme lancés à la poursuite d’un rêve hors de portée. Les prises de conscience se feront pour certains, trop tard comme souvent. Et c’est un véritable drame familial qui se joue ainsi, au fil des notes, dans un décor plein de charme et d’élégance.
Un casting sans fausse note
Quel bonheur de découvrir une pièce dans laquelle le jeu de chacun des six comédien(ne)s nous régale ! En effet, ce fut la première belle surprise de ce spectacle. Et nous aurions bien du mal à dire lequel de ces personnages nous avons préféré tant ils sont tous incarnés avec profondeur et énergie. Chacun d’eux vient d’ailleurs enrichir, à sa manière, ce récit d’une existence hors-norme. Et on ne peut que saluer la direction d’acteurs, impeccable.
« On peut aimer sans contrôler, encourager sans contraindre. »
Ainsi, dans le rôle du pianiste virtuose, Thomas Gendronneau est tout simplement épatant. Perdu dans son pull Jacquard trop grand surmonté d’une écharpe solidement nouée, il habite cet éternel adolescent névrosé dans chacun de ses mouvements, de ses regards et de ses mots. Impressionnant de voir un comédien se donner autant sur scène et s’abandonner littéralement à son personnage. Il y a de la poésie, aussi, dans les moments de complicité qu’il partage avec sa cousine, Jessie, jouée de manière juste et touchante par Lison Pennec.
Josiane Stoleru interprète avec force et malice cette mère excessivement protectrice et étouffante, qui nourrit des rêves de grandeur pour son fils qu’elle « limite » à 5h de piano par jour et avec lequel elle dort une nuit sur deux ! Elle forme un couple contrasté avec Bernard Malaka, touchant dans le rôle de ce père aimant mais en retrait, qui finit par questionner la manière dont ils ont élevé leur fils. Benoit Tachoires est quant à lui parfait dans le rôle de l’impresario dévoué ; et Stéphane Roux, en véritable caméléon, nous a conquis dans les différents rôles qu’il interprète avec brio !
Entre humour et drame
La deuxième belle surprise de ce spectacle c’est la manière dont Ivan Calbérac – à qui l’on doit notamment Venise n’est pas en Italie et La dégustation – s’empare de cette histoire pour nous la rendre à ce point vivante, dynamique, captivante et drôle ! En effet, on oscille sans cesse entre humour et drame. Un humour souvent teinté de tendresse et aussi bien distillé par des répliques, des situations ou des attitudes. Comme quand sa cousine l’initie au french kiss ; ou lorsque sa mère participe à un talk-show sur une radio canadienne.
Inspirée des œuvres du peintre Edward Hopper, la scénographie de Juliette Azoppardi et Jean-Benoît Thibaud est une réussite. En complicité avec les jeux de lumière d’Alban Sauvé et la vidéo de Nathalie Cabrol projetée en arrière-plan, elle parvient à faire exister les différents lieux et les époques avec peu de choses et pourtant beaucoup de vie et de réalisme. À mesure que se déroule le fil du temps, on passe ainsi de la maison de Glen au studio d’enregistrement ou à la salle de spectacle ; des forêts canadiennes jusqu’à New-York.
Vous n’êtes pas amateur de musique classique ? Qu’importe, vraiment. Car cette pièce est presque plus le récit de l’histoire d’un homme que celle d’un musicien. Et elle nous parle aussi des liens familiaux, du rapport à l’Art ou encore de l’isolement auquel peut amener une passion. Bref, l’une des pièces du moment à ne pas manquer, et que l’on ne s’étonnerait pas de retrouver aux prochains Molières…
Glenn, naissance d’un prodige, écrit et mis en scène par Ivan Calbérac, avec Josiane Stoleru, Bernard Malaka, Thomas Gendronneau, Lison Pennec, Benoit Tachoires & Stéphane Roux, se joue jusqu’au 18 décembre 2022, du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h au Théâtre du Petit Montparnasse.
[UPDATE 2023] Succès-prolongations : se joue à partir du 25 janvier au Théâtre du Splendid.
Avis
Si la musique est bel et bien présente tout au long du spectacle, nous nous attendions, c'est vrai, à davantage de moments joués au piano. Mais cette création d'Ivan Calbérac a su nous transporter et nous immerger dans l'univers de cet artiste de bien d'autres manières. Et ces 90 minutes passent sans même qu'on ait le temps de s'en apercevoir.