C’est l’évènement Netflix de la fin d’année : Frankenstein revient dans une nouvelle adaptation signée Guillermo Del Toro (La Forme de l’Eau, Hellboy, Le Labyrinthe de Pan). Une version aussi impressionnante qu’à fleur de peau, retravaillant au corps le roman source pour ne transposition à la fois fidèle des écrits de Mary Shelley, et emprunte du romantisme cher à son auteur !
Frankenstein ! Un nom que tout le monde connaît, tombé dans le domaine public et traînant derrière lui tout un imaginaire du cinéma fantastique. Avant tout popularisé par les classiques de James Whale (y compris La Fiancée de Frankenstein), la fameuse créature semble désormais vue à travers le simple prisme d’un patchwork de cadavres assemblé pou en faire un monstre certes doué de conscience, mais au QI enfantin.
Une vision popularisée par la Hammer et presque reprise telle qu’elle dans la myriades d’itérations du monstre dans la pop culture. Pourtant, Kenneth Branagh avait à moitié réussi en 1994 à proposer une adaptation de Frankenstein plus proche du roman de Mary Shelley. Malheureusement, l’excellent script de Frank Darabont s’est retrouvé sabordé dans le résultat final, justifiant aujourd’hui un réel retour aux sources !
Frankenstein : aux premiers amours de Del Toro
Et qui de plus approprié que Guillermo Del Toro (Le Labyrinthe de Pan, Nightmare Alley) pour redonner ses lettres de noblesse à une des figures les plus séminales du genre, mais également la source créative primitive de son cinéma ? Le cinéaste mexicain rêvait de réaliser son Frankenstein depuis les années 90, c’est désormais chose faîte avec un budget confortable de 120 millions de dollars, et tout le savoir-faire du réalisateur.

Les aficionados du récit originel seront en territoire conquis d’entrée de jeu : le film débute en 1856, au large de la Russie et du cercle polaire. Tandis que l’équipage d’un navire souhaitant joindre St-Petersbourg est prisonnier de la glace, le capitaine (Lars Mikkelsen) découvre Victor Frankenstein (Oscar Isaac), médecin de renom blessé suite à une altercation avec un mystérieux colosse que rien ne semble arrêter.
C’est dans ce contexte in media res que Victor va raconter son histoire, débutant enfant à Genève. Suite au décès de sa mère, Frankenstein n’aura de cesse de guider sa vie et son cursus universitaire avec un seul but : pouvoir contrer la mort ! C’est donc en 1954 en Grande-Bretagne que Victor réalisera ce projet, en mettant au monde une créature (Jacob Elordi) fabriquée à partir de cadavres !
Entre fidélité et singulier
En d’autres termes, Guillermo Del Toro conserve la moelle épinière du récit originel, mais il ne faudra pas longtemps au spectateur pour découvrir par quels procédés le cinéaste ajoute/modifie des éléments divers pour se réapproprier le mythe de manière plus personnelle ! On peut compter sur le personnage d’Elizabeth (jouée par l’épatante Mia Goth) qui n’est plus la fiancée de Victor mais celle de son frère, et donc objet de convoitise pour un Oscar Isaac résolument excellent en génie peu à peu contaminé par son propre orgueil !

Une vision plus noire du personnage, puisant ses racines dans une enfance gouvernée par la mort et la castration mentale par une figure paternelle quasiment despotique (Charles Dance est toujours parfait dans ce type de rôle). Mythe de Prométhée, relation au père (et donc à Dieu), transmission transgénérationnelle des traumas d’enfance…. des thématiques charnières du roman de Mary Shelley, qui se retrouvent totalement congruentes avec l’univers de Del Toro !
Symbiose de motifs connus
Il y a quelque chose presque trop évident pour le papa de Hellboy, Blade II et La Forme de l’Eau d’adapter Frankenstein. Mais tout comme pour Pinocchio, il parvient à y injecter ses obsessions, épouser le cœur thématique du récit et rendre le tout surprenamment personnel ! La monstruosité de l’Homme (personnifiée par exemple par un Christoph Waltz parfait en scélérat aristocrate syphilitique) ou l’humanité des monstres (un paradoxe qui parcourt toute la cinématographie de son auteur) trouvent donc un nouvel écrin, enveloppé d’une aura romantique et romanesque absolument délectables !

Dès les tous premiers plans, la collaboration avec le chef opérateur Dan Laustsen (Le Pacte des Loups, John Wick 4) déploie des plans amples absolument somptueux, surélevant un peu plus une direction artistique s’apparentant à un pur paradis de roman gothique. Des rues londoniennes grouillantes aux panoramas arctiques en passant par les intérieurs de palais ou une tour d’eau écossaise reconvertie en laboratoire plus lugubre, Del Toro renvoie presque l’acmé esthétique d’un Crimson Peak au pur essai.
Tel un Peter Jackson sur King Kong, Guillermo Del Toro fait de son Frankenstein un pur exutoire artistique ; un territoire conquis qu’il veut faire redécouvrir, en annihilant la quasi-totalité des autres représentations du monstre dans le zeitgeist cinématographique ! La clé du succès, il le sait, réside dans le monstre en elle-même : campée par un impressionnant Jacob Elordi tout en physicalité, aussi à l’aise dans les premiers stages d’élocution que dans un versant plus verbeux en fin de métrage, la créature de Frankenstein est un modèle parfaitement appliqué en terme de sensibilité pure.
La meilleure incarnation de la créature
Repoussante et inquisitrice pour les hommes, objet de fascination pour Elizabeth (qui partage la même fascination pour les insectes que Del Toro), on tient là une interprétation à fleur de peau dans la pure tradition de son auteur, finalement assez proche de celle de Penny Dreadful. Il est donc logique que le film bascule à mi-parcours en terme de point de vue (Guillermo Del Toro prévoyait à la base deux métrages, chacun centré sur un des 2 protagonistes), de manière corrélée au matériau source.

D’aucun pourra pester contre une voix-off sur-signifiant le propos (le caractère épistolaire et surligné faisant presque identité avec le phrasé de Mary Shelley), à l’instar de ces séquences où la créature se sent plus proche d’une biche que d’un chasseur. Mais c’est dans cette dimension naïve, premier degré et frondeuse dans sa démarche que Del Toro fait de son Frankenstein une pure tragédie Shakespearienne, en adéquation avec toute la symbolique réflexive qu’il entend véhiculer.
Si la fin du métrage, derrière les sonorités presque élégiaques du score d’Alexandre Desplat, n’est pas assez éloquente, Guillermo Del Toro se livre lui-même à travers le créateur et la créature. Comme il le dit si bien lui-même, le réalisateur a fait table rase d’un catholicisme pourtant prégnant dans son enfance, assimilant son rejet de la figure paternelle à son propre abandon de Dieu. Un motif qui parcourt l’échine de son Frankenstein en filigrane, que ce soit explicite (Victor s’adressant à une idole angélique, cauchemardant d’un ange de la mort représentée par sa mère..) ou plus implicite : les figures prostrées des cadavres disséqués, l’impressionnant maquillage de Jacob Elordi tout en mosaïque tel un martyre, crucifié sur la table d’expérimentation…
L’adaptation définitive du classique de Mary Shelley ?
Une symbolique qui émane à chaque segment de ce Frankenstein (comme dans une grande partie de ses films, la guerre gronde en hors-champ), tandis que durant 2h30, Del Toro déploie une grammaire de mise en scène oscillant entre pur classicisme, instants de violence graphique et ampleur scénographique (la naissance de la créature est un modèle du genre, explorant intimisme et grandiloquence) au service d’une sincérité de chaque instant ! Une sincérité qui excusera donc un léger sentiment de « déjà-vu » concernant certains passages de la dernière heure, que Del Toro semblait avoir déjà digéré tout au long de sa filmographie. Mais le constat est bien là : cette version de Frankenstein peut d’emblée s’articuler comme une référence d’adaptation de Mary Shelley, et Guillermo Del Toro est définitivement LE cinéaste qui nous fait aimer les monstres !
Frankenstein sortira sur Netflix le 7 novembre 2025
avis
Guillermo Del Toro revient aux sources mêmes de son cinéma et de sa créativité dans cette impressionnante ré-adaptation de Frankenstein. Une version proche des écrits de Mary Shelley, où le cinéaste parvient à y injecter sa fibre personnelle tant à l'image qu'à travers sa symbolique thématique. Une manière de boucler la boucle, tandis que les motifs récurrents de son cinéma se confrontent dans un film-somme à la sincérité aussi revigorante que sa fabrication d'orfèvre.

