Il aura fallu attendre près de 9 ans pour voir le retour du grand Michael Mann (Heat, Le Dernier des Mohicans) au cinéma. Ferrari est en effet un projet de longue date pour le cinéaste américain, présenté à la Mostra de Venise. Porté par Adam Driver et Penélope Cruz, cet anti-biopic dissèque l’aura du fameux constructeur/fondateur de l’écurie automobile italienne, au cours de l’été 1957. Un retour en magnifique forme !
Michael Mann a beau être un des plus grands cinéastes contemporains, il faut quand même se pincer devant le fait que ce dernier n’a pas tourné de nouveau film depuis presque 10 ans ! La faute au super bide de Hacker, et l’exigence technique d’un réalisateur toujours désireux de s’atteler à des projets nécessitant des budgets adéquats. Ferrari arrive donc porteur d’espoirs (et de joie), 1 an après que Michael Mann ait mis en boîte le très bon épisode pilote de Tokyo Vice.
Michael Mann n’est plus au point mort
Pourtant, le projet Ferrari remonte aux années 90, alors que le scénario du regretté Troy Kennedy Martin (Braquage à l’Italienne, Double Détente) tombe entre les mains d’un Michael Mann imaginant initialement Robert De Niro dans le rôle-titre. Il aura donc fallu attendre quelques décennies pour que le projet soit définitivement greenlighté (le succès de Le Mans 66 n’y étant pas pour rien), et que son casting change (Christian Bale, Hugh Jackman ou encore Noomi Rapace étaient prévus).
Ferrari raconte la vie de Enzo Ferrari (constructeur automobile ayant fondé la célèbre écurie au début de la WW2) au cours de l’été 1957. Une période charnière pour ce mogul industriel italien, alors que l’entreprise familiale est au bord de la faillite. De plus, son mariage avec sa partenaire financière Laura bat de l’aile, tandis que le couple pleure encore la mort de leur fils Alfredo, décédé de la maladie de Duchenne 1 an plus tôt.
Pour ne rien arranger, la liaison de Enzo avec sa maîtresse Lina Lardi semble sur le point d’être révélée, tout comme le fait qu’il a un fils illégitime né de cette union cachée. Mais alors que la situation est au plus mal, et que la course automobile est considéré comme le sport le plus dangereux de l’époque, Ferrari va tenter de remporter la fameuse course de la Mille Miglia face à Lamborghini.
Sport ou entreprenariat ?
Ferrari aurait tout du film sportif sous forme de success story inspirante, ponctuée de séquences de courses musclées (un peu comme Ford v Ferrari donc). Mais non, Michael Mann ne fait pas ce genre de film, évitant tout biopic hagiographique à la destinée factice, pour proposer sans nul doute son film le plus intimiste. En résulte un anti-biopic crépusculaire et souvent désenchanté, loin du vernis glamour que le titre de l’écurie de luxe italienne laisserait entendre.
Tout comme l’excellent Ali, le film s’intéresse avant tout à l’homme plutôt qu’au mythe, dans un film surprenamment sensible, prenant la forme d’un requiem funèbre proche de la tragédie grecque. La mort d’une entreprise, la mort d’un mariage, la mort d’un enfant, la mort d’un pays (le contexte d’après guerre plane)..un spectre mortifère hante chaque personnage dans cette ville de Modena où Enzo Ferrari s’impose à la fois comme le Parrain et le Héphaïstos de la mécanique sportive, alors que son piédestal s’étiole peu à peu.
Dénué de manichéisme ou des coutures narratives inhérentes au genre, Ferrari s’intéressera donc avant tout à ses personnages humains et complexes, de manière souvent âpre et sans fard, mais avec un vrai cœur romantique qui bat en filigrane. Certes, les séquences de course sont bien présentes, mais avec parcimonie, limitant avant tout le spectacle kinétique pour le climax bien tendu des Mille Miglia.
Courbes mortelles
Là encore, ces passages représentent le mieux la profession de foi ce Ferrari, tandis que Michael Mann en expurge la charge sexy ou fétichiste pour mieux représenter les bolides comme des engins de mort (on parle après tout d’une période où le taux de mortalité au sein des équipes de pilots atteignait les 50% !). Certes dynamiques et filmées avec un naturalisme immersif (avec de vraies voitures !) dont seul Michael Mann a le secret, l’enjeu est toujours au service de la dramaturgie entourant la royauté implacable d’Enzo.
Aidé d’Erik Messerschmidt (Mindhunter, The Killer), Mann parvient en effet à renouveler son style visuel, loin de l’hyper-réalisme et la caméra à l’épaule alloué par les caméras HD depuis 20 ans, mais proposant un bel équilibre esthétique, loin de l’aspect factice que pouvait avoir un Public Enemies. Il faut bien évidemment saluer l’exceptionnelle direction d’acteurs de Michael Mann, parvenant à ancrer un casting anglophone dans une Italie d’époque que l’on avait pas vu aussi bien filmée par un américain depuis Coppola (on pensera notamment à ces séquences de mausolée ou de chapelle délicieusement texturées).
Mais outre une écriture maîtrisée, ou une fabrication exemplaire (à un seul crash en CGI près) laissant la place à une émotion insidieuse (autant qu’à l’horreur dans une intense séquence conclue par le superbe « Sacrifice » de Lisa Gerrard), Ferrari brille également via ses interprètes. Adam Driver (Marriage Story, Le Dernier Duel) livre une performance impeccable en Enzo Ferrari, grimé en ogre autoritaire dont la plus belle réussite est sans nul doute une caractérisation totalement dans la mouvance de l’homme solitaire façon Michael Mann.
Il Solitario Ferrari
Tiraillé entre un devoir professionnel quasi religieux (à l’instar de Neal McCauley, Vincent Hanna, Muhammad Ali ou bien Frank dans Thief) lié à son pur talent d’ingénieur, Enzo aspire aussi à l’horizon fantasmé d’une échappatoire intime. Une manière d’ancrer un protagoniste peu reluisant ou attachant au premier abord dans la filmographie de son auteur, ainsi que via une identification auprès du spectateur liée à une humanité craquelée derrière la carapace.
Pour se faire, Adam Driver a aussi une excellente partenaire de jeu en la personne de Penélope Cruz, absolument géniale d’intensité en épouse laissée sur le carreau se délitant seule, avant de reprendre en main sa situation. Une catharsis à mettre à égalité avec celle d’Enzo Ferrari, dans l’une des plus belles performances de l’année !
L’ampleur dans l’intime
Le reste du casting a beau être plus secondaire (Shailene Woodley, Jack O’Connell, Gabriel Leone ou bien Patrick Dempsey en pilote ayant réalisé lui-même ses cascades), chacun semble à sa place malgré l’exercice périlleux d’adopter un accent italien. Ferrari aurait pu être un peu plus ample en accordant plus de temps aux divers pilotes et leurs propres enjeux personnels (on pense à Sarah Gadon dans un rôle famélique), mais là encore le focus n’est pas là.
Car si Ferrari arrive à encore nous prouver quelque chose, c’est bien que Michael Mann demeure un des cinéastes les plus précis, impliqués et méthodiques qui soient, se débarrassant ici de tout gras narratif superflu pour recentrer une histoire réelle vers une intimité et une humanité centrale. Un mantra superbement personnifié par une touchante séquence finale simple de justesse. Un très bon retour !
Ferrari sortira sur Prime Video le 8 mars 2024
avis
Avec Ferrari, Michael Mann déjoue à nouveau les attentes dans un film qui ne séduira probablement pas un grand public avide d'une success story trépidante. Non, le cinéaste revient avec un étonnant anti-biopic crépusculaire à l'aura funèbre, pour se concentrer sur un touchant et prenant drame intime à la fabrication impeccable, et au casting de talent. Un très bon film tout simplement, tout en finesse !