Femmes en colère nous emmène dans un procès d’assises où neuf jurés doivent décider du sort d’une femme à la fois coupable et victime.
Femmes en colère est une pièce tirée du roman à succès de Mathieu Menegaux, co-écrite avec Pierre-Alain Leleu.
Trois magistrats et six jurés populaires sont réunis pour décider de la culpabilité ou non d’une femme. Le procès est celui de Mathilde Collignon, jugée pour actes de torture et de barbarie. En même temps que nous suivons leurs délibérations, nous entendons le témoignage de cette femme qui a avoué son crime et qui, pourtant, réclame justice. Un moment de théâtre aussi passionnant que captivant.
Immersion au cœur d’un jury d’assise
Difficile de ne pas avoir en tête l’excellente pièce 12 hommes en colère, adaptée du livre de Reginald Rose, dans laquelle douze hommes (Amérique des années 50 oblige où le juré d’assises était exclusivement masculin…) devaient décider de la vie ou de la mort d’un jeune inculpé pour meurtre. Mais nous avons très vite arrêté d’y penser à vrai dire. Car cette pièce se distingue par bien des aspects. Et elle nous a tenus en haleine d’un bout à l’autre.

Réunis autour d’une table, trois magistrats et six jurés populaires vont devoir répondre à deux questions. Mathilde Collignon s’est-elle rendue coupable d’actes de torture et de barbarie ? Et quelle peine mérite-t-elle ? Nul besoin d’unanimité, nous sommes en France à notre époque. La majorité suffit. Gilles Kneusé incarne un président de la cour d’assise très posé, pédagogue et plein de justesse dans sa manière d’aborder la justice, de nous exprimer la nécessité de la tenir tant que possible éloignée de l’émotion.
« Continuez à bafouer le droit, laissez l’opinion juger à l’emporte-pièce, et vous récolterez à coup sûr le chaos et la dictature. »
On se familiarise ainsi avec le fonctionnement de la justice française, le mode opératoire des délibérations d’un jury, le principe d’individualisation des peines… Fonctionnement qui, toutefois, est en train d’évoluer puisque la réforme du jury populaire vient tout juste d’affaiblir le rôle de cette participation citoyenne dans la justice criminelle. Celle-ci sera remplacée par des cours criminelles départementales composées de magistrats professionnels qui seront désormais seuls à statuer pour les crimes les crimes passibles de quinze à vingt ans de réclusion criminelle.
De quoi la victime est-elle coupable ?
Nous ne savons d’abord rien du crime dont il est question. Et c’est par bribes que nous comprenons que ce n’est pas là que l’histoire commence. En effet, les victimes de Mathilde Collignon ont d’abord été ses agresseurs. D’elle non plus nous ne savons finalement pas grand chose, si ce n’est qu’elle aime le sexe. Oui, ça, elle l’admet. Et c’est un peu comme si elle plaidait alors coupable dans une société qui préfère les Dom Juan et les Casanova aux « nymphomanes » – terme pour lequel le masculin n’a d’ailleurs pas d’équivalent – et autres qualificatifs plus insultants les uns que les autres…
Mathilde Collignon est une femme libre qui aime le sexe. Mais ce soir-là, elle avait dit non. Un non qui ne veut jamais dire oui, même quand on porte des jupes courtes, même quand on exprime des fantasmes, même quand on a accepté un rendez-vous. Ce soir-là pourtant, elle n’a pas eu le dernier mot. Et le seul désir qui la gagnera alors sera celui de la vengeance…
« Tous les « non » du monde criaient, hurlaient, ils ne valaient plus rien. »
Elle aurait pu agir autrement. Aller voir la police, raconter ce qu’elle a subi, pleurer, espérer qu’on la croie, se laisser examiner par d’autres mains inconnues… Bref, être « une victime exemplaire ». Certainement même qu’elle aurait dû. Mais, en tant que femme, on ne peut que comprendre qu’elle n’ait pas eu le courage d’endurer ces humiliations supplémentaires.
Des débats d’un grand réalisme
Cette salle de délibération devient alors le lieu de confrontation des aprioris, des conditionnements sociaux, des craintes, des incompréhensions, chacun appréhendant la situation à partir de ce qu’il est. Quand certains doutent de ce qu’elle dit avoir subi et remettent en question ses mœurs, d’autres s’indignent de cette manière de justifier et minimiser ce qu’elle a subi. Ici on s’insurge contre la barbarie employée comme réponse à la barbarie, là on aimerait que ce procès soit l’occasion d’entendre enfin la parole de toutes les femmes en colère qui résonne à travers celle-ci…

Les débats sont animés, les points de vue s’affrontent. Et les questions qui se posent vont bien au-delà de ce procès. Peut-on condamner cette femme alors que ses agresseurs sont libres ? Faut-il punir ou pardonner celle qui est à la fois victime et bourreau ? Peut-on se faire justice soi-même quand la Justice semble ne pas être à la hauteur ? On s’imagine forcément être l’un de ces jurés… Et on comprend que les réponses sont loin d’être simples.
Une adaptation sans faute
La mise en scène très vivante de Stéphane Hillel, qui fait tomber le quatrième mur, est une vraie réussite et rend la pièce d’autant plus captivante. On adore notamment l’effet créé par la manière donc chaque juré se présente directement à nous, en aparté, au moment de sa première prise de parole. On adore d’ailleurs aussi chacun(e) de ces comédien(ne)s qui donnent vie avec talent à des personnages très réalistes dans leurs perceptions diverses de la situation et les réactions qui en découlent.

La scène des délibérations se fige régulièrement dans la pénombre pour laisser la parole à l’accusée qui s’adresse directement à nous depuis l’avant-scène (qu’elle ne quitte d’ailleurs jamais). Les lumières de Laurent Béal accompagnent à merveille toutes ces ruptures qui donnent du rythme et du dynamisme à l’ensemble. Tout comme ces touches d’humour adroitement disséminées pour que l’atmosphère reste respirable et que l’émotion ne vienne pas recouvrir les faits.
Une voix qui fait entendre la parole des femmes
Toute l’intelligence de cette pièce réside dans le fait que l’on parvient à comprendre la douleur et la colère de cette femme qui s’est fait justice elle-même, sans toutefois cautionner ni excuser ses actes, et encore moins leur sang-froid. Et que dire de Lisa Martino, si ce n’est qu’elle est absolument bouleversante et parfaitement juste dans ce rôle exigeant…

Quand, enfin, Mathilde Collignon nous livre le récit de son agression, c’est une femme digne qui se tient devant nous. Les actes qu’elle a subis sont tout aussi pénibles à entendre que ceux qu’elle a infligés, et la résonance de ses mots nous bouleverse. Car au-delà de son récit, ce sont bien d’autres voix de femmes que l’on entend résonner. Même celles qui se taisent…
Femmes en colère met en exergue tous ces endroits où l’égalité hommes-femmes trébuche, où les conditionnements pèsent encore beaucoup trop lourds, où les notions de viol et de consentement restent sensibles ; toutes les voix sans issue où les mentalités s’engagent encore souvent ; toutes les violences minimisées parce qu’incomprises par qui ne les a pas ressenties dans sa chair. Et toutes ces situations dans lesquelles, à l’ère post #Metoo, le masculin l’emporte encore trop sur le féminin.
Femmes en colère, écrit par Mathieu Menegaux et Pierre-Alain Leleu, mise en scène Stéphane Hillel, avec Lisa Martino, Gilles Kneusé, Hugo Lebreton, Nathalie Boutefeu, Fabrice de la Villehervé, Sophie Artur, Clément Koch, Magali Lange, Aude Thirion & Béatrice Michel, se joue jusqu’au 01er avril, du mardi au vendredi à 21h, et le samedi à 16h et 21h, au Théâtre la Pépinière.

Avis
Le propos échappe formidablement à tous les excès dans lesquels il aurait pu tomber. Pas de manichéisme ni de généralisations faciles. Cette pièce pose de nombreuses questions en cherchant davantage à susciter des réflexions et des prises de conscience, plutôt qu'à imposer des réponses.