Euphoria était une des plus belles surprises séries de 2019 ! Une véritable pépite signée HBO, aussi audacieuse visuellement que dans ses thèmes abordés ! Dans l’attente de la saison 2, la série de Sam Levinson revient via 2 épisodes spéciaux intitulés respectivement « le malheur n’est pas éternel » et « j’emmerde tout le monde, sauf les blobs marins » ! Chacun fait office de respiration mélancolique, en prenant le point de vue respectif de Rue et Jules.
Euphoria s’était fini de manière amère pour sa saison 1 : Jules part sans Rue, et cette dernière retombe dans la consommation de drogues ! S’ensuivait une superbe séquence de chant onirique, qui laissait le spectateur dans l’attente de la suite. Alors que la saison 2 s’apprête à débuter son tournage, Sam Levinson eut l’idée d’un double-épisode intercalaire (en plus de Malcolm & Marie !).
Une respiration qui fait presque office de descente d’acide mélancolique : en effet, là où Euphoria nous a habitué à un vrai festin visuel de chaque instant, la mise en scène se veut ici plus posée. Mais ne montez pas trop vite sur vos grands chevaux, car la série conserve toujours une réalisation aux petits oignons ! Dans la Partie 1 : Rue (que nous abordons en premier), le réalisateur signe un huis-clos d’une heure. Un parti-pris audacieux et de très bonne tenue !
It’s not the most wonderful time of the year
Se déroulant au réveillon de Noël, cette première partie intitulée « Le malheur n’est pas éternel » voit Rue confrontée par Ali à propos de sa récente rechute. En plein bad mood, elle évoque à la fois sa situation amoureuse avec Jules ainsi que l’échec de sa période d’abstinence. Une longue conversation qui repose presque entièrement sur des dialogues savoureux et l’interprétation tout à fait admirable de Zendaya et Colman Domingo. Si l’introduction (voyant Rue et Jules filer le parfait amour dans une séquence fantasmée) fait illusion, le retour à la réalité se fait de manière égale pour le spectateur et le personnage.
Décor quasi unique de motel, dialogue en champ/contre-champ, absence de musique la majeure partie de l’épisode…on a là une certaine épure qui sied parfaitement aux intentions de l’épisode. En effet, Sam Levinson s’attarde avant tout sur la volonté de faire épouser la mise en scène à la psyché de ses personnages. Un regard à hauteur d’homme pour laisser briller les acteurs et le script donc, toujours au moyen d’une formidable photographie par Marcell Rév (Assassination Nation). Teintes bleutées se réfléchissent sur les gouttes de pluie ou les néons, tandis que l’économie de moyens apparente laisse la place à un cadrage précis pour laisser briller le duo d’acteurs.
La douleur de vivre ou la sécurité dans l’oubli
Si Rue a toujours été le protagoniste principal d’Euphoria, rarement nous aurons pu avoir accès à une telle introspection du personnage. En mettant en parallèle inversé la dépendance affective de Rue envers Jules et son addiction à la drogue, la séance psychanalytique opérée par Ali prend rapidement une toute autre ampleur. Très vite, l’échange se fera plus bilatéral, permettant de mieux verbaliser la souffrance de Rue, et de dévoiler quelques éléments du passé d’Ali. Réflexions sur la famille, l’existentialisme, l’ambivalence humaine, les révolutions idéologiques, l’hypocrisie mercantile, les erreurs du passé, les traumas de l’enfance ou encore le refuge dans la religion…autant de thématiques abordées avec efficience et passion ! Le tout au service de deux âmes esseulées abolissant leurs barrières via une franche et touchante sincérité.
Après tout, Euphoria a toujours placer l’humain au centre, et cette Partie 1 : Rue ne fait définitivement pas exception. Entre Ali qui dévoile un passé tout en nuances de gris, et Rue littéralement au fond du trou (évoquant même l’idée « d’en finir »), on est trimballé dans l’extrême avant une possibilité de voir la lumière au bout du tunnel. In fine, la grande force de cette première moitié de diptyque est de voir cet échange fusionnel entre deux addicts de générations différentes. Ali est un rescapé ayant développé une philosophie saine malgré une vie cabossée, et Rue représente un potentiel rédempteur autant qu’un parallèle avec une vie paternaliste qu’il n’a pu assouvir. Les raisons de se battre et de vivre feront par ailleurs irruption rien qu’à l’évocation de la famille de Rue, ou lors d’un interlude planant où Ali téléphone aux siens (somptueux usage de « Cigarettes and Coffee » d’Otis Redding).
De l’autre côté du miroir
Concernant la Partie 2 : Jules centrée sur le personnage éponyme, le versant psychanalytique se fait de manière bien plus concrète : en effet, cette dernière est en pleine session thérapeutique face à une psy. Moins jusqu’au-boutiste que le précédent, cet épisode se traduit par une verbalisation également introspective des émotions du personnage. Un « échange » qui cette fois se veut beaucoup plus unidirectionnel, permettant d’entrer métaphoriquement dans la tête de Jules. En effet, à mesure qu’Hunter Schafer (qui n’a jamais été aussi à l’aise dans son rôle) s’ouvre à propos des évènements l’ayant conduit jusqu’ici, des inserts plongent le spectateur dans les fameux moments-clés cités.
Sa relation dysfonctionnelle avec sa famille, ses échanges online passionnels avec Tyler ou encore son amour pour Rue sont encore une fois évoqués, de manière familière pour quiconque aura suivi la saison 1. Mais la singularité de « J’emmerde tout le monde, sauf les blobs marins« , c’est d’offrir le ressenti de Jules vis-à-vis de ses situations, et véhiculer un point de vue inédit pour mieux comprendre son caractère préalablement évasif. Nous découvrons donc que Jules vivait très mal les problèmes d’addiction de sa propre mère, ainsi que le poids mis de facto sur ses épaules concernant la dépendance de Rue. Un nouveau regard qui offre des réponses et un aspect plus nuancé donc !
Flash-backs dans un cocon familial éclaté, monologue où Jules questionne son identité sexuelle, séquences oniriques avec un Tyler fantasmagorique…le montage n’hésite pas à aller vers le clipesque (au son « Liability » de Lorde). Peut-être de manière moins fine qu’à l’accoutumée (style over substance !), mais de manière payante au final, à mesure que le cœur de l’épisode traite de sa relation avec Rue. On découvre finalement un amour bien plus réciproque que ce que l’on imaginait, parasité par des non-dits et des traumas personnels. L’autre point intéressant réside sans aucun doute dans sa séquence finale, révélant que cette Partie 2 se situe en fait juste avant la Partie 1. De quoi laisser songeur sur l’avenir de la relation centrale du show !
Au final, cet interlude spécial Noël d’Euphoria offre une respiration bienvenue, et un rappel des qualités indéniables de la série d’HBO. Une occasion d’offrir de vrais moments introspectifs et en suspension pour les deux protagonistes principaux de la série, en plus de pleinement montrer l’étendue du talent de Zendaya et Hunter Schafer ! Si la Partie 2 se révèle moins subtile que l’émotionnelle Partie 1, ces deux épisodes spéciaux sont évidemment des immanquables à découvrir avant la suite d’Euphoria prévue en fin d’année !