Dans le cadre du Festival d’Automne, Thomas Quillardet présente un seul en scène intimiste et social : En Addicto. Un spectacle tourné vers l’autre, où la parole délivre les récits de vie de soignant.e.s et patient.e.s du service addictologie d’un hôpital de jour. Une immersion empreinte de réalisme et de poésie à découvrir au Théâtre de la Ville.
En Addicto présente une mise en scène épurée. Aucun artifice, aucun élément de trop, le plateau est mis à nu. Seule une chaise trône au milieu de la scène, sur laquelle Thomas Quillardet est installé dès l’entrée du public. A ses pieds, une petite enceinte reliée à un MP3, installation sonore lui permettant de lancer des musiques aux moments opportuns. Thomas Quillardet nous observe, il nous regarde nous installer et attend. Un profond silence de plusieurs minutes s’ensuit, nous laissant le temps de le regarder à notre tour.
Ses yeux passent du public à ses mains, il se touche délicatement les doigts, déplace son pied droit sur le sol. Il attend. Seuls quelques bruits parasites et chuchotements sont perçus dans ce silence qui dure, une entrée en matière douce et sereine. Puis, il rompt son mutisme d’une phrase exclamative : “On peut commencer !”. Et alors, comme en réponse à cet appel, les divers voix des soignant.e.s et patient.e.s s’élèvent. Thomas Quillardet débute son long monologue qui n’en est pas vraiment un, puisqu’il interprète une multitude de personnages. La scène prend vie à travers ses paroles.
Du théâtre documenté
Thomas Quillardet nous amène à la rencontre des soignant.e.s et patient.e.s qu’il a rencontré.e.s lors d’une résidence de six mois – proposée par le Festival d’Automne dans le cadre de son partenariat avec l’Assistance publique – au sein du service addictologie d’un hôpital de jour. Son spectacle donne à entendre des récits de vie et des paroles de professionnel.le.s. Il ne décrit rien, mais libère un texte vivant constitué d’une choralité de voix.
En Addicto est ainsi empreint d’un fort réalisme. Thomas Quillardet souhaitait retranscrire cette expérience singulière et subjective. C’est en ce sens qu’il propose un seul en scène et interprète son propre rôle. Il ne voulait pas reconstituer des dialogues, ni laisser la parole à une tierce personne. Il devait jouer, pour rendre compte de ce qu’il a vécu, pour que le témoignage soit le plus réaliste possible. Un choix qui en dit long pour un homme qui ne se dit pas comédien mais metteur en scène.
Une construction interne qui rend compte de l’immersion
La construction interne du texte rend compte du déroulement de la résidence. Pendant toute une première partie – renvoyant à la phase d’observation – Thomas Quillardet nous fait vivre du dedans divers groupes de parole. Des origines de l’addiction, au moment où les patient.e.s ont décidé d’une prise en charge, il raconte des histoires personnelles. On découvre ainsi un patient qui n’arrive pas à dialoguer sur son alcoolisme avec sa mère, une mère de famille divorcée qui fait tout pour ne pas perdre la garde de ses enfants, un salarié qui lutte pour ne pas être licencié. Et comme en écho à ces récits, les soignant.e.s et docteur.e.s éclairent la pathologie, mettant des termes sur le fonctionnement d’un comportement complexe, cette “pathologie de l’abandon”.
Et puis, petit à petit, Thomas Quillardet nous fait part de son ressenti : “j’espère qu’ils vont aller mieux, mais en fait, ils ne vont jamais mieux…”. Les doutes qui l’assaillent, leurs peurs qui naissent, les difficultés à prendre de la distance. Il se livre sans barrière, et on accède ainsi à son expérience intérieure. D’observateur, il devient acteur – phase d’implication – et parle de son projet. Il réalise sa propre interview à travers les questions des salarié.e.s et explique comment se sont mis en place les ateliers théâtraux, avant de les imager par des scénettes.
Un comédien accompli
Thomas Quillardet est incontestablement un comédien. Le jeu qu’il propose est subtile et il devient difficile de décrocher de ses mots, de sa voix. Celle-ci est à la fois singulière et plurielle : on distingue sans aucun mal les différents personnages. Grâce à une rythmique fortement travaillée, Thomas Quillardet fait se différencier les paroles. Elles s’unissent sans se mélanger, elles sont puissantes et éveillent l’émotionnel.
Thomas Quillardet propose un spectacle émouvant qui ne cherche pas à être sensationnel. Un seul en scène sincère et profond aux voix qui résonnent encore, même quand elles ne retentissent plus.
En Addicto se joue au Théâtre de la Ville jusqu’au 28 octobre. Pour plus d’informations
Avis
En Addicto est un seul en scène d'une extrême justesse. Thomas Quillardet se livre à une prestation intense en interprétant une multitude de personnages. Patient.e.s et soignant.e.s d'un service addictologie d'un hôpital de jour prennent vie à travers sa voix. Un spectacle empreint d'un fort réalisme dont il est difficile de décrocher.