Sean Ellis est un cinéaste britannique et vient du monde de la photographie. Son court-métrage Cashback est nommé à l’Oscar en 2004 et connaîtra une adaptation en long-métrage. Son second film – The Broken – est présenté en, compétition au festival de Gérardmer en 2008. 14 ans plus tard, le réalisateur revient au même endroit, avec sa nouvelle œuvre cinématographique Eight for silver. Il est le film d’ouverture de la 29° édition du festival international du film fantastique de Gérardmer. Eight for silver raconte l’histoire d’un jeune pathologiste. John McBride, se voit enquêter sur une mystérieuse menace qui plane au sein d’un petit village français au 19ᵉ siècle.
Eight for silver s’ouvre sur une grande scène de bataille. On y suit un personnage au milieu des tranchées qui – après un échange de tir avec l’ennemi – se retrouve blessé. Il est transporté dans un camp de secours. En une dizaine de minutes, le film propose un véritable travail sonore et d’image. La photographie est à l’image de son réalisateur / photographe : soignée, bien composée. Malgré ces grandes qualités que nous propose d’entrée de jeu le film, on va vite constater qu’il ne les tiendra pas sur la longueur…
Cut, cut, cut…
Le problème majeur du long-métrage réside dans son montage imparfait. En effet, on remarque très rapidement un sur-découpage des scènes et surtout des scènes d’action. Ce montage fonctionne dans certaines situations, notamment dans son introduction montrant un hôpital rempli de blessés et de gueules cassées. L’effet marche… Une fois.
Cette abondance de cut revient assez régulièrement, gâchant les visuels d’une photographie composée aux textures d’images organiques. Eight for silver nous fait parcourir une France rurale, avec des forêts, des vignes, et une grande maison dans laquelle se recentre l’intrigue. On découvre alors une photographie très symétrique, avec des focales plutôt courtes, venant centrer ses sujets. L’image montre alors des personnages piégés d’un cadre et d’un monde bien trop grand pour eux, monde qu’ils fuient car caractérise comme dangereux. Car au-delà d’être une sorte de film d’enquête, Eight for silver nous fait la bonne surprise de finalement virer vers une sorte de slasher. Le danger rôde et cherche ses victimes.
Pourtant, il va être compliqué pour le spectateur d’évoquer la moindre attache aux protagonistes. La dramaturgie ne développe qu’à peine les personnages et se limite à de vagues dialogues. Les actions qui devraient avoir de l’importance dans les développements des personnages sont elles aussi désamorcées, comme pour arranger le scénario….
Malgré une intrigue simpliste, Eight for silver tente de développer un véritable folklore mi-religieux, mi-sorcellerie autour de notions de colonisation. En effet, l’élément déclencheur survient après une bataille de terre sainte. Seamus (incarné par Alistair Petrie) massacre une bande de gitans. Dès lors, une malédiction s’abat sur le terrain par une sorcière. Comme beaucoup de choses amorcées dans le film, le folklore est vite mis de côté. L’intrigue doit avancer. Celui-ci sest très vite désamorcé par une mise en scène qui révèle trop tôt la chose dans son récit. Dès lors, tout perd de sa force car le spectateur a déjà identifié la menace. D’une part, on sait à quoi celui-ci ressemble visuellement, et on sait également qu’il est possible de le vaincre. On est donc loin du Xénomorphe quasi-indestructible et invisible du premier Alien…
Et pourtant…
On notera la présence d’un plan séquence (peut-être que le monteur était partie en pause…) qui laisse vivre – ou mourir – l’action. On découvre alors le massacre du peuple gitan par les colonisateurs, avec un cadre mettant en valeur son ratio de 2.35 au profit d’un large champ visuel. On a une véritable progression, de l’arrivée des intrus au camp, au premier coup de feu, jusqu’à la fin du massacre.
Le montage sur-découpé s’efface et laisse vivre la scène et les événements eux-mêmes. Les cris s’entremêlent, les tentes brûlent, les survivants tentent de fuir, en vain… En un plan, en une scène, Sean Ellis prouve ce dont il est capable. D’une part, le cadre rappelle clairement son passé de photographe, et d’autre part : qu’il n’a pas besoin des artifices du montage pour provoquer un effet quelconque chez le spectateur. Car pour le reste, on dirait juste que le montage presque épileptique (notamment au climax) n’est là que pour camoufler les mauvais effets spéciaux numériques…
Enfin, Eight for silver ne lésine pas sur la violence plein cadre (et vas-y que je te coupe un pied, et puis une main) ; mais également sur les enfants – et il n’y va pas de main morte -. Sean Ellis n’hésite pas à montrer par exemple un cadavre d’enfant en décomposition (et ouais, sacré introduction à Gérardmer… heureusement que j’avais rien dans le ventre d’ailleurs), sujet pourtant un peu tabou au cinéma. Pourtant, même si on peut trouver ça un peu « osé », on serait presque dans le too much, comme si le film tentait juste de nous faire réagir (comme ses beaucoup trop nombreux jumpscares).
Malgré pas mal de petites épines, Eight for silver se permet une relecture d’un des grands mythes de l’histoire du fantastique (regardez le film pour découvrir lequel) en l’appropriant au folklore du film. La proposition aurait pu être bien plus forte, surtout en ayant fait confiance sur une mise en scène plus suggestive et plus contemplative ; et avec un montage plus posé et organisé. Même si les quelques allers-retours temporels semblent clairs pour le réalisateur, c’est moins le cas en tant que spectateur. Ça l’est encore moins lorsque le film instaure certaines règles dramatiques pour finalement les contrebalancer au dernier moment…