Dom Juan est une adaptation moderne, familiale, pleine d’énergie et inspirée des codes urbains de l’œuvre de Molière.
Dom Juan, voilà bien une œuvre dont on se dirait qu’il n’est plus nécessaire de la présenter… Mille fois adaptée, vue, revue… Oui mais comme ça : jamais ! En effet, il fallait oser projeter Dom Juan, Dona Elvire, Sganarelle, Pierrot, Charlotte et les autres dans les codes urbains où rap et hip-hop donnent le tempo.
Et Tigran Mekhitarian l’a fait ! Ce nom vous dit forcément quelque chose. Si ce n’est pas le cas, ça ne devrait plus tarder. Car on parle de plus en plus souvent de ce jeune comédien et metteur en scène de talent. Et à juste titre. En effet, c’est un véritable vent de fraîcheur et de modernité qu’il a l’ambition de faire souffler sur les œuvres classiques. Et nous n’allons pas faire durer le suspense : c’est largement réussi.
Et Molière se fit rajeunir le portrait !
Nous l’avions remarqué pour la première fois à Avignon, lors du Festival OFF 2021, dans la pièce de Denis Kelly, ADN, mise en scène par Marie Mahé. PIèce qui sera d’ailleurs reprise en mars 2023 au Théâtre de la tempête. Et si ces deux artistes se retrouvent à nouveau ensemble sur scène, c’est Tigran Mekhitarian qui prend cette fois les commandes de la mise en scène après s’être attaqué aux Fourberies de Scapin et à L’Avare.
Et il serait imprécis de parler d’un Dom Juan « de notre époque » car cette adaptation parvient en réalité à rendre ce personnage intemporel ; ou en tout cas à nous montrer qu’une œuvre classique peut traverser les époques et emprunter les codes de chacune d’elles sans rien perdre de la force de son propos. Car si le flow, le phrasé et la mise en scène s’offrent quelques libertés – c’est peu dire ! -, le texte est quant à lui conservé et respecté. Et sa résonance avec notre époque est presque déroutante.
Dom Juan du ghetto
Ainsi, dans une scénographie épurée, c’est sur un rap que Dom Carla et Dom Alonse entrent en scène après que Sganarelle se soit allumé un joint sur sa chaise de camping ! C’est ce qui s’appelle plonger dans le vif du sujet ! Et ce n’est que le début ! En effet, c’est en survêtement, un sac de sport sur l’épaule, que Dom Juan fait ensuite son entrée tandis qu’un peu plus tard, Mathurine investira la scène sur la musique des Destiny’s Child, Say my name ! Pendant ce temps, les gitans de Montreuil rôdent…
Quant au texte, nous vous le disions, il est quant à lui scrupuleusement respecté. Enfin… à quelques petits ajouts près ! Mais franchement, tellement bien amenés que l’effet de surprise fonctionne à chaque fois sans jamais nous choquer pour autant. Et l’on rit beaucoup ! Notamment quand Sganarelle nous présente son maître comme « le plus grand FDP que la Terre ait jamais porté ! » ; ou quand il s’offusque à coup de « sur la tête de ma mère j’mets pas tes habits ! ».
Le spectacle vivant dans toute sa splendeur
Quand elle est réalisée avec talent, ce genre d’adaptation très contemporaine est aussi intelligente qu’intéressante. Car, en plus d’aborder les grands classiques de manière inédite et de nous permettre ainsi de les redécouvrir autrement, elle permet aussi d’ouvrir d’autres portes sur le théâtre. Dans un genre un peu différent nous avons d’ailleurs beaucoup aimé récemment le spectacle décalé et fantaisiste autour de la vie et de l’œuvre du dramaturge, M.O.L.I.E.R.E.
Mais il n’est pas tant question pour ce Dom Juan de casser les codes que d’en rendre d’autres possibles, d’inventer de nouvelles formes, de célébrer la liberté de la création. Une façon aussi de s’intéresser à un public plus large, plus jeune, moins habitué au théâtre ; de l’aider à se sentir davantage concerné et à mieux s’emparer des thèmes abordés en les faisant résonner dans le présent. Une manière, finalement, de rompre avec cette dimension élitiste que l’on peut encore parfois associer au théâtre, surtout lorsqu’il est question d’œuvres classiques.
« Tous les discours n’avancent point les choses. Il faut faire et non pas dire ; et les effets décident mieux que les paroles.«
Dom Juan.
En effet, tandis que, sur scène, Molière s’installe en 2022, dans le public, les générations se mélangent, se rencontrent, s’apprivoisent. Et cela fait chaud au cœur. Car comment mieux célébrer le spectacle vivant qu’en lui permettant d’évoluer en même temps que la culture et que la langue, elle aussi vivante rappelons-le, tant qu’on ne l’empêche pas de se transformer…
Un pari risqué
Nous avions tout de même deux craintes, c’est vrai, à propos de ce spectacle. La première c’était que ce côté urbain soit exagéré et que l’on bascule dans une sorte de caricature de mauvais goût. La seconde, assez liée à la première, était que cela conduise à un rendu finalement assez amateur, qui n’aurait plus grand chose à voir avec l’œuvre initiale. Mais c’était sous-estimer le talent de cette belle équipe ! Nous avons eu peur pour rien.
En effet, cette modernisation/urbanisation est parfaitement dosée pour rendre la pièce à la fois drôle et plus actuelle, sans rien perdre de la force de l’histoire. D’autant que ces comédien(ne)s sont tous excellent(e)s et nous embarquent complètement dans leur univers. Il règne une belle osmose sur le plateau, sans aucun moment de flottement ni accro, dans le texte comme dans le jeu.
Tigran Mekhitarian incarne le personnage éponyme dans sa version modernisée avec un aplomb et une fougue que l’on adore toujours autant. Arthur Gomez est à mourir de rire dans le rôle de Pierrot aussi bien que dans celui de Mathurine, et Marie Mahé livre un jeu nuancé dont l’intensité ne faiblit pas un seul instant. Quant à Théo Askolovitch, il est une bien jolie révélation. Parfaitement à son aise dans cet exercice, il jongle entre classique et urbain avec beaucoup d’adresse et de naturel.
Bref, on adore cette équipe, cette mise en scène, cette énergie.
Le défi était audacieux, il est relevé avec brio.
Dom Juan, de Molière, mise en scène Tigran Mekhitarian, avec Théo Askolovitch, Arthur Gomez, Marie Mahé et Tigran Mekhitarian, se joue jusqu’au 04 décembre 2022, du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 17h, au Théâtre du Lucernaire.
[UPDATE 2023] En tournée en France de février à juin.
Avis
Il y a tellement de finesse, de profondeur et d'intelligence dans cette adaptation que Dom Juan se retrouve plongé dans notre époque comme si c'était la sienne ! On est captivé d'un bout à l'autre et l'envie nous prendrait sans hésiter de réviser tous nos classiques sous cette forme !