Denali est un thriller haletant tiré de faits réels qui offre une expérience théâtrale unique en s’appropriant les codes des séries télé.
Le mardi 4 juin 2019, la jeune Cynthia, 19 ans, est retrouvée ligotée et bâillonnée dans une rivière en Alaska. Elle a été abattue d’une balle dans la nuque.
La police tente de comprendre ce qu’il s’est passé en retraçant les derniers moments de la jeune fille, qu’elle aurait passés en compagnie de ses ami.e.s Denali, 18 ans, et Kayden, 16 ans. C’est une histoire sordide, inspirée d’un fait divers ayant eu lieu à Anchorage en 2019, que nous allons alors découvrir dans cette pièce de théâtre au format insolite qui nous plonge dans une série télé !
Âmes sensibles s’abstenir
Une jeune femme entre dans la salle, s’installe au premier rang et lance la série. Enfin, le spectacle. Nous sommes alors dans une salle d’interrogatoire d’un village d’Alaska, avec son miroir sans tain et son néon qui semble vouloir faire à lui tout seul la lumière sur une situation tragique. Le corps de la jeune Cynthia, portée disparue, a été retrouvé dans une rivière. Les enquêteurs interrogent Denali Brehmer, sa « meilleure amie », et accessoirement l’une des dernières personnes à l’avoir vue vivante.
Les photos de la victime que les policiers lui mettent sous les yeux sont alors projetées sur un écran de toile. À d’autres moments, ce seront les échanges électroniques entre les protagonistes qui défileront en surimpression. Puis, à mesure que cette jeune mère de 18 ans raconte les faits, l’écran laisse alors apparaître, par transparence, des scènes de flashbacks interprétées en direct par d’autres comédien.ne.s.
Deux unités de temps et de lieu s’exposent alors en parallèle pour raconter la même histoire. La scénographie de Juliette Desproges est habile. L’effet est saisissant, l’immersion totale. Et ce n’est que le début.
Un thriller policier qui glace le sang
Le témoignage de Denali laisse pourtant les enquêteurs perplexes. Tout comme celui de Kayden d’ailleurs, qui s’est rapidement désigné coupable du meurtre, prétextant un jeu qui aurait mal tourné. Mais un certain nombre d’éléments ne collent pas. Et la réalité qui se cache derrière ce crime va se révéler encore plus sombre et glauque qu’elle n’y paraît…
On ne peut évidemment pas vous en dire plus pour préserver le suspense de la pièce. Mais au-delà du crime en lui-même, ce sordide fait divers interpelle sur la dangerosité réelle, à certains niveaux, des réseaux sociaux. Il y est question de la quête de sens et de reconnaissance d’une jeunesse parfois désœuvrée, sans repères solides, et donc vulnérable. Une jeunesse prête à tout pour ce qu’elle croit être « briller ».
Une série true crime au théâtre !
C’est un double challenge auquel s’est attaqué Nicolas Le Bricquir. Car adapter sur scène un thriller n’est déjà pas chose simple. Il ne nous est d’ailleurs jusque-là arrivé qu’une seule fois d’être bluffé et conquis par une telle entreprise avec l’incroyable pièce Mon visage d’insomnie, découverte lors du Festival OFF d’Avignon 2022. Mais en plus de ce défi, l’auteur et metteur en scène s’est lancé le pari de donner l’impression au spectateur d’être dans son canapé en train de binge-watcher une série Netflix ! Audace ? Folie ? Courage ? Sans doute un peu des trois ! Alors, le faire c’est une chose, mais est-ce que ça fonctionne ?
La réponse est oui. Pour ce qui est du format en tout cas, c’est une vraie réussite. On s’y croirait avec ces différents plans qui se succèdent, ces génériques et rappels des épisodes précédents qui s’intercalent ; la musique de Louise Guillaume et les lumières de Maxime Mord aussi, qui ajoutent la tension nécessaire à l’intrigue. On retrouve une atmosphère à la Dark, on suit une bande d’ados à la manière de Stranger Things, et on retrouve le côté mi-fiction, mi-documentaire de Dahmer, pour citer quelques-uns des gros succès de la célèbre plateforme de streaming.
Tout est si bien orchestré pour nous donner le sentiment d’être plongé dans une série télé qu’on est même un peu déçu que les toutes dernières secondes ne nous laissent pas face à un écran nous proposant un contenu similaire, ou nous demandant : « êtes-vous toujours en train de regarder ? » . C’est qu’on finit par se prendre au jeu !
Une interprétation qui manque un peu de réalisme
Bon, vous nous voyez venir, si la réponse est « oui pour ce qui est du format », c’est qu’il y a un petit « mais » quelque part. En effet, notre appréciation a un peu fluctué au fil de la pièce. Il nous a déjà fallu du temps pour rentrer dans l’histoire, jusqu’à ce que la scène de révélation, captivante, dans la chambre de Denali ne vienne nous attraper.
C’est du côté de l’interprétation que nous sommes restés sur notre faim. Le jeu au micro ne facilite déjà pas les choses, mais le côté trop « crié » mêlé à une diction parfaite, particulièrement dans les scène de flashbacks, créé un rendu assez peu naturel qui nous a sortis de l’histoire à chaque fois. Ce qui ne nous a pas empêchés de quitter la salle avec une belle impression. Celle d’avoir assisté à un spectacle hors du commun et d’une grande créativité ! Nicolas Le Bricquir, voilà un nouveau nom à retenir.
Denali, écrit et mis en scène par Nicolas Le Bricquir, avec Lucie Brunet, Lou Guyot, Caroline Fouilhoux, Jeremy Lewin, Lauriane Mitchell, Guillaume Ravoire, se joue jusqu’au 31 décembre 2023 au Studio Marigny.
Avis
On comprend fort bien que Denali ait été récompensée du Prix du public au Concours Jeunes Metteurs en Scène du Théâtre 13 en 2021. C'est une expérience inédite, à mi-chemin entre théâtre et série télé, qui a de quoi séduire un large public.