Pour un premier long-métrage, la réalisatrice belge Veerle Baetens se défend bien. En adaptant le best-seller éponyme de Lize Spit (2018), elle livre un récit tragique porté par le jeu de deux actrices : Rosa Marchant et Charlotte de Bruyne. Débâcle retrace la destruction d’une vie alors qu’elle a à peine commencé.
Il n’est pas étonnant qu’un film comme Débâcle soit réalisé par une femme. Un film autour de la vie d’une femme, sur les violences faites aux femmes, fait par une femme. Quoi de plus logique ? Car il y a des sujets qui ne seront jamais mieux traités que par un regard qui peut potentiellement se retrouver dans la même situation. Alors Débâcle a ça de juste, ce regard doux posé sur le personnage d’Eva. Cette femme qui apparaît froide aux premiers abords, distante et fuyante, mais qui ressasse continuellement un traumatisme enfantin qu’elle n’a pas su dépasser.
Eva adulte est à l’instar de ces glaces qui, alors qu’elles recouvrent tranquillement un cours d’eau, se disloquent et sont emportées par le courant. Elle ne peut plus lutter, il ne paraît plus utile de le faire, alors elle se laisse bringuebaler par l’eau pour échouer dans un endroit inconnu. C’est la débâcle, la vie d’Eva.
L’insouciance enfantine
Débâcle est une fenêtre ouverte sur l’enfance. A l’aide d’une double narration bâtie autour de longs flash-back, Veerle Baetens dresse aussi le portrait d’Eva enfant. Cette petite fille de 13 ans portée par l’insouciance enfantine et ce qu’elle a de plus beau. Les rires, les amusements, les amis,… L’image elle-même accroît cette sensation de légèreté : les couleurs chatoyantes de l’été apportent la chaleur, les plans larges s’ouvrent sur la nature, les personnages. Cette période nous immerge en douceur et contraste particulièrement avec l’hiver froid qui englobe Eva adulte. Mais tout comme dans Midsommar d’Ari Aster, la gaieté apparente n’est parfois qu’une enveloppe.
Très rapidement, cette vivacité enjouée propre à l’enfance est rejointe par la réalité brute. Eva enfant est en proie à des sentiments contradictoires, elle souffre du peu d’amour que lui porte sa mère alcoolique, elle cherche à se comprendre et elle est rejetée par ses deux seuls amis. Une fille au milieu de deux garçons, les trois mousquetaires avec un problème dans l’équation, car les garçons grandissent eux-aussi, avec l’apparition de nouvelles préoccupations.
Cette sensation de couler
Débâcle à cette capacité à nous faire perdre pied petit à petit. Cette sensation de couler, de prendre l’eau, jusqu’au moment où l’on boit la tasse. Tout au long du film, que ça soit du côté d’Eva adulte ou d’Eva enfant, on pressent ce qui va advenir, ce n’est pas un mystère. On sait sans vraiment savoir, car le déroulement exact des faits nous échappe. Alors quand ils arrivent, on est submergé par l’instant qui apparaît avec toute sa violence. Et les plans se resserrent sur les visages, impossible de s’échapper.
Le jeu des deux actrices accentue cette impression. Charlotte de Bruyne incarne une Eva adulte qui ne sourit en aucune occasion, qui garde son regard perdu dans le lointain. Aucune exaltation ne porte son être et son corps entier respire l’indifférence et la rigidité. Quand à Rosa Marchant, cette jeune actrice qui signe son premier grand rôle dans un long-métrage, elle parvient avec beaucoup de justesse à rendre compte de la perte des repères d’Eva enfant. Il suffit de regarder ses yeux pour avoir accès aux émotions de son personnage. Un regard puissant qui ne vous lâche pas.
Débâcle est un premier film qui fait son effet. Grâce au montage parallèle Veerle Baetens déploie un portrait qui se déploie en de nombreuses ramifications. Un récit qui ira jusqu’au bout, quoi qu’il arrive.
Débâcle est à découvrir au cinéma à partir du 28 février.
Avis
Le premier long-métrage de Veerle Baetens, Débâcle, aborde frontalement le sujet du traumatisme. Est-il possible de se remettre d’un événement qui ébranle en profondeur un individu ? Et qui plus est alors qu’il n’est qu’un enfant ? Eva n’a jamais su aller de l’avant, rattrapée par ses démons intérieurs. Un film qui ébranle par sa véracité et la violence de la réalité. Un film sur la jeunesse, ce qu’elle pourrait avoir de plus beau, et ce qu’elle a de plus terrible.