Un jour sans fin, alors pourquoi pas, une semaine sans fin ? Dans Comme un lundi, la marmotte laisse le pas au pigeon et Ryo Takebayashi transforme la petite ville de Punxsutawney en un open-space dont on ne sortira… jamais. Une boucle temporelle aliénante qui rendrait fou plus d’un salarié.
Comme un lundi nous plonge dans le quotidien d’une petite agence de publicité où les employés sont soumis à une pression particulièrement difficile à supporter. Aux deadlines irréalistes s’ajoutent les exigences insensées des clients et tous ces imprévus qui mettent dans le jus. Mais alors qu’Akemi Yoshikawa (Wan Marui) termine une semaine particulièrement éprouvante, voilà qu’elle se réveille aux côtés de ses collègues pour tout recommencer.
Assis à son bureau, entre deux missions, qui ne s’est jamais demandé : “Mais, quel jour sommes-nous ? Mardi ? Mercredi ? Lundi… sérieux ?”. L’esprit s’embrume, on ne parvient plus à dissocier ces journées qui se ressemblent toutes, où chaque tâche se répète quotidiennement pour revenir inéluctablement. Et ainsi de suite, jusqu’au lendemain, au surlendemain et à tous les jours prochains. Une répétition programmée qui vient de recommencer pour tous les salariés enfermés dans cet open-space où le temps s’est arrêté pour boucler ; on a de quoi vriller.
L’absurdité de la vie
Il ne faudra pas attendre longtemps pour être envahi par l’humour absurde et décalé de Comme un lundi. Dès le générique, on est propulsé dans un univers qui n’a ni queue ni tête, où le rationnel se transforme en une accumulation d’éléments épars qui reviennent inexorablement. Sur fond de « La Berceuse de Brahms », une pastille effervescente orange se dissout dans l’eau, les têtes de petites statuettes se balancent, un pansement s’imbibe de sang, puis de nouveau la pastille, les statuettes, le pansement, et tous ces bruitages qui se réitèrent au sein d’un montage fragmenté parsemé de bugs. En seulement quelques minutes, Ryo Takebayashi parvient à nous retourner la tête et nous aliéner, sensations qui ne feront que se renforcer.
En ancrant son récit dans le quotidien d’une agence de publicité, le réalisateur choisit le contexte parfait pour développer sa boucle temporelle. Dans cet environnement clos, il est impossible pour les personnages de se soustraire à l’oppression. Acculés par la quantité de travail, ils sont obligés de dormir sur place, enchaînant tant bien que mal des tâches dénuées de sens pour répondre à des missions encore plus aberrantes, telles que réaliser une publicité pour une soupe miso effervescente. A travers les lignes de cette comédie de bureau se détache donc un regard critique sur la société japonaise, que l’on sait particulièrement déshumanisante et exigeante envers ses salariés.
Tout est dans l’image et le son
Toute la magie de Comme un lundi réside dans le montage et les choix des procédés cinématographiques ; le film ayant d’ailleurs reçu le prix du meilleur montage lors des Japanese Movie Critics Awards en 2023. En optant pour une caméra portée, Ryo Takebayashi accentue l’instabilité des images qui oscillent au sein même des plans. En y ajoutant la répétition de certaines séquences à l’identique, l’(in)variabilité de la réalité est portée à son paroxysme : l’image oscille sur elle-même tout en se répétant telle quelle.
A l’enchaînement rapides de gros plans sur les personnages et d’inserts sur des détails du décor, s’ajoutent les bruitages, tout aussi redondants. L’accent est mis sur de petits bruits, à l’instar de ces sons d’horloge qui créent une rythmique musicale itérative, ou de ce « boum » qui fait sursauter, car ici, aucun employé n’échappe à l’inéluctable retour d’un lundi matin, signalé par le choc d’un pigeon sur la vitre, à la manière de l’obsédant « I got you babe » de Sonny and Cher marquant l’échec des tentatives de Bill Murray pour s’échapper de son éternel « jour de la marmotte ». A ces ritournelles se joignent les dialogues, ces phrases rabâchées qui tournent à l’obsession et que l’on finit par connaître par cœur. Alors, à l’instar des personnages, on surveille le moindre petit changement, car on sait qu’il peut être le symbole de la fin.
“Finalement, c’est profond”
“Finalement, c’est profond”, tels sont les mots prononcés par un personnage dans le film, au moment où il se rend compte que derrière la légèreté apparente du patron, se cache quelqu’un de sensible. Un parallèle se crée alors instantanément, puisque Comme un lundi dissimule derrière ses airs de comédie des sujets importants. Alors oui, on rit face aux réactions démesurées des personnages, à l’absurdité de certains plans ; mais on réfléchit aussi, à l’existence, au sens qu’elle prend. Plus le film avance, plus on entrevoit tous ces questionnements qui s’échouent dans nos esprits à minima une fois dans nos vies.
Comme un lundi est un film sur le collectif, où il n’est pas question de résoudre cette boucle temporelle en étant seul. Akemi, Shigeru (Makita Sports), Ken (Yügo Mikawa), Takuto (Kohki Osamura), Sotaro (Kotaro Yagi), Ichiro (Haruki Takano), Seiko (Momoi Shimada), Yadai (Ryô Ikeda) et Takako (Harumi Shuhama) doivent travailler en équipe sans quoi, ils ne pourront jamais sortir de cette semaine de l’enfer, la pire de leur vie.
Avec Comme un lundi, Ryo Takebayashi présente une vision singulière de son jour sans fin et bien qu’il s’appuie sur un procédé que l’on connaît déjà, il ne déçoit pas.
Comme un lundi est à découvrir au cinéma dès le 8 mai prochain.
Avis
Comme un lundi est une version japonaise d'Un jour sans fin, sauf qu'ici, le réalisateur Ryo Takebayashi inscrit son récit dans l'open-space d'une agence de publicité. Il nous immerge ainsi dans le quotidien oppressant d'une équipe obligée de revivre la même semaine, indéfiniment. Un film marqué par un humour absurde et répétitif, où l'angoisse de la boucle temporelle se retrouve dans l'image même. Place au "Jour du pigeon".