Civilisation, quatrième album solo d’Orelsan, a su confirmer l’impact du rappeur caennais sur la scène hexagonale au travers de chiffres de ventes tout bonnement impressionnants. Mais derrière le succès public, Orelsan ne viendrait-il tout simplement pas de livrer son meilleur opus ?
Civilisation avait de quoi désarçonner aux premières écoutes. Les incompréhensibles Bébéboa, les lancinantes (voire fades) déclarations d’amour Athéna et Ensemble, et un sentiment de déception après l’incendiaire promesse de L’odeur de l’essence. Orelsan creuse pourtant avec ce quatrième opus, toujours accompagné des fidèles Gringe, Skread à la production et des très demandés The Neptunes et Phazz, toutes ses obsessions pour un ensemble qui s’avère, en plus d’être son œuvre la plus aboutie, un ensemble d’une cohérence folle.
Toujours le même, mais en mieux
Au fur et à mesure des écoutes, Civilisation révèle ainsi toute sa puissance, et se révèle même en creux comme l’essai le plus fameux de son auteur. Parce que l’artiste a muri, sa plume et son regard se sont affinés, comme son goût pour des productions plus éclectiques et un regard toujours aussi juste sur une société prête à s’effondrer. Sous la bannière d’une Civilisation, Orelsan signe ainsi son album le plus politique, sur fond d’une introspection aussi touchante que sincère. Ayant signé un impressionnant retour avec L’odeur de l’essence derrière un dispositif toujours aussi hypnotique que celui du tube Basique, l’artiste revient plus engagé et plus virulent que jamais.
Parce que si sur le fond Orelsan n’est plus le même, La fête est finie, le mariage, la fuite loin de la capitale, le retour aux sources et le succès oblige, le rappeur caennais n’a pourtant rien perdu de l’acuité de son regard et de sa plume. Dès Shonen, et comme sur San, l’artiste signe un avant-propos brillant, avant le nostalgique La Quête et l’occasion, ensuite, d’alterner entre ballades et petits uppercuts à l’ironie toujours aussi mordante. Si Du propre prépare honnêtement le terrain, l’on sera ici plus séduits par celle de Baise le monde sur l’écologie et l’hyperconsommation où les contradictions de l’artiste s’avèrent ici toujours aussi savoureuses.
Polithits
Mais le morceau-fleuve qui irrigue ce Civilisation, on le trouve (presque) pile au milieu de l’album, comme un préparatif au brûlot (et définitivement l’un des meilleurs titres de l’artiste) L’odeur de l’essence. Ce dernier semble ainsi une réponse plus aboutie au déjà très fort Suicide Social, qui émanait cependant d’un album beaucoup plus inégal. Dans Manifeste, on retrouve ainsi Orelsan tel qu’il est, assumant pleinement les limites de son personnage de faux branleur et réel auteur à la note sociologique débordant de justesse.
Il s’agit du portrait d’un pays en pleine révolte, de fausses caricatures qui se trouvent confrontés au même ennemi, et révèlent comme l’artiste, toute leur profondeur et leur ambiguïté. Une France qui rêve de vivre mieux, au-delà des débats et des fausses polémiques teintées de racisme, et qui sous la violence et le bruit de la foule, se trouve enfin soudée, même juste le temps d’un bref instant, justifiant ainsi la rupture abrupte du titre.
Parce qu’avec Civilisation, Orelsan délivre le désir, aussi touchant qu’utopiste, de réunir tout le monde sous sa bannière. Celle d’un homme que le succès n’a pas changé, confronté à un amour qui a des airs d’éternel et qui affronte ici ses contradictions comme celles de tout un pays, réunis ici pour marquer une sorte de réconciliation. Si Rêve mieux et Jour meilleur sonnent ainsi à la première écoute comme de sympathiques balades, la profondeur et la justesse de l’écriture consacrent pourtant Orelsan en un leader aussi fragile que charismatique. Si l’on émettra cependant quelques doutes sur les retrouvailles en mode stoner d’un Casseurs Flowters Infinity et d’une décevante (mais efficace) collaboration avec les Neptunes, ce Dernier Verre semble pourtant arroser des airs de victoire. Celle d’un artiste qui a définitivement su donner le meilleur de lui-même.